Peux-tu te présenter et revenir sur ton parcours ?

Je suis Maxime Duranté, j’ai 28 ans. J’ai eu un parcours un peu chaotique ! J’ai commencé avec un Bac S, alors que je voulais faire un Bac L. À l’époque, je voulais devenir officier dans l’armée de terre, donc encore une fois, j’ai souhaité bifurquer en intégrant les classes préparatoires littéraires. Mes parents ont jugé que ce n’était pas forcément le parcours le plus « safe » au niveau des débouchés, et comme j’avais les capacités de faire des sciences, j’ai fait des sciences : Maths sup’ Maths spé, côté physique-chimie, mais au bout de 3 ans, j’ai compris que ce n’était pas pour moi. Comme j’étais déjà dans une branche technique, je me suis réorienté en école d’ingénieur en informatique ; cela ne m’a pas plu non plus. Alors je suis reparti dans mes premières amours, en faisant des langues étrangères appliquées (anglais, japonais), et en quittant la région parisienne pour m’installer à Lyon. J’avais monté un projet entrepreneurial en parallèle ; il n’est plus d’actualité, mais c’est en présentant ce projet au concours JM Entreprendre organisé par l’Université Lyon III, que j’ai rencontré Marion – elle y était invitée pour un retour d’expérience sur la création de la Maison Trafalgar. On est entrés en contact, et j’ai été recruté. Depuis, je suis Portraitiste au sein de la Maison ! 

À quel moment as-tu compris que l’écriture était ce que tu voulais faire, à fond ? 

Le projet entrepreneurial que j’avais démarré avant de rencontrer Marion était une Maison d’édition, donc je voulais déjà lancer un projet dans l’écriture, plus en tant qu’éditeur qu’en tant qu’auteur. Je voulais publier de jeunes auteurs sur internet, mais cela n’a pas marché. À côté, je faisais un peu de Freelance en traduction, en relecture, en conseil éditorial sur des manuscrits, donc je voulais déjà m’orienter dans cette voie. Peut-être que dans une autre vie, j’aurais persisté, je serais peut-être devenu traducteur, mais traducteur littéraire.

Malgré ton parcours, qui semble à l’opposé de la littérature et de l’écriture, as-tu toujours gardé ce lien avec l’écriture ?

Oui, j’ai commencé à écrire assez tôt ! À la base je suis plutôt d’une culture geek. Cela passait par pas mal de Fanfiction, de la fiction très imaginaire, disons, très éloignée de la littérature contemporaine. J’écrivais des petites histoires pour la communauté, et je continue à écrire aujourd’hui pour des projets personnels, en parallèle de la Maison Trafalgar. Depuis une dizaine d’année, je poursuis un roman avec des illustrations signées par ma petite sœur illustratrice, et d’autres personnes. 

Et tu aimerais publier un jour ?

Oui ! On va publier, c’est prévu, on est en train de discuter avec un éditeur à l’heure actuelle. Comme on aimerait aller plus loin que le texte et l’illustration, on est en train de monter une petite démo avec de la musique aussi, et des éléments interactifs. 

Avais-tu déjà écrit des portraits avant d’intégrer la Maison Trafalgar ?

Non, ce qui s’en rapprochait le plus, c’était l’écriture de fiches narratives de personnages. Au départ, je me suis d’ailleurs intéressé aux portraits pour ce côté descriptif, cela me parlait beaucoup – j’adore décrire ! Même si les gens trouvent que les descriptions dans les livres, c’est souvent barbant, je trouve qu’il y a toujours un moyen de les dynamiser et de les rendre intéressantes à lire : c’est un peu le challenge que je me suis toujours fixé. Donc même si je n’avais jamais écrit de portraits avant Trafalgar, je pense que j’étais relativement armé. Pour la petite histoire, j’ai postulé en leur transmettant mon auto-portrait, sans égard pour les règles du Portrait Trafalgar, que je ne connaissais pas. Je me suis juste dit : « comment j’aurais décrit mon intervention à ce concours auquel Marion assistait ? » et je me suis auto-décrit sur la scène. 

Disposez-vous d’un guide d’entretien, ou revoyez-vous les axes, les thèmes, pour chaque entretien ?

Cela dépend de ce qui ressort de l’entretien préliminaire téléphonique qui a lieu en amont, avec chaque client. Les questions de cet entretien sont faites pour cerner les besoins, donc à partir de ces premières réponses et de ce que nous décelons, nous travaillons les thèmes. Au bout d’un moment, évidemment, on a des incontournables à poser pour avancer, et certaines thématiques qui ne peuvent être passées sous silence. Après, effectivement, c’est vraiment personnalisé à chaque fois. Nous faisons beaucoup de recherches, nous demandons aux clients de nous transmettre les articles qui sont déjà parus sur eux, ce qu’ils aiment, n’aiment pas dans les lignes qui ont déjà été écrites. Nous avons également des entretiens qui vont être modifiés, adaptés dans le cadre des Portraits croisés d’associés par exemple, car pour cette offre, deux clients vont s’exprimer de manière individuelle pour se retrouver dans le même portrait.  

Concrètement, que regardes-tu, à quoi réfléchis-tu quand tu fais un portrait, quel est ton processus ? 

Une fois que j’ai la matière, à la sortie de l’entretien d’extraction, je commence à faire un tri de ce qui est intéressant et de ce qu’il l’est moins au regard des besoins, en me basant sur mon ressenti et le vécu de l’entretien. Il faut savoir que je tape à l’ordinateur entre 15 et 25 pages, car je tiens à tout prendre en note durant l’entretien d’extraction. Après, je ne suis pas une machine infaillible pour déceler ce qui est intéressant et ce qui l’est moins, donc ce sont des points que l’on revoit parfois en comité. Je sais aussi que certains clients veulent que des pans un peu plus intimes et méconnus soient enfin abordés dans leur portrait. Chez Balzac, Hugo mais aussi chez Zola, on sent tout de suite que des tempéraments se dégagent, et c’est ce que je cherche à mettre en lumière dans mes portraits. Il faut vraiment que ce soit un « instantané », et qu’on comprenne quelle personne on est en train de rencontrer par la lecture. 

As-tu une structure que tu essaies de garder dans chaque portrait, ou est-ce que chaque portrait appel sa propre structure, sa propre organisation ?

Des plans peuvent parfois s’imposer d’eux-mêmes, mais dans la majorité des cas, et en opposition à la biographie, nous ne commençons jamais par la naissance, par exemple. Nous, on va plutôt commencer par une introduction hyper forte qui va tout de suite poser le cadre. On se permet ensuite des flashbacks, pour revenir sur des éléments antérieurs, les influences familiales si elles ont compté, le passif professionnel s’il a eu un impact sur l’activité actuelle du client, et puis des éléments de la vie personnelle – sinon, cela perd en intérêt et en chaleur. On va relier ce qui se passe dans la vie privée du client et qui va nourrir, valoriser ce que nos clients ne pensent pas forcément à dire sur eux en tant que professionnels. Toutes ces choses, qui ne sont pas forcément visibles, devront être croisées dans le portrait. Il y a des portraits où l’on sent que la thématique est tellement forte qu’on peut se permettre de faire vraiment différent. Je me souviens d’un professionnel qui est aussi un pianiste dans sa vie privée : j’ai trouvé que cette facette-là le définissait beaucoup plus que son métier en tant que tel. Donc j’ai commencé chaque paragraphe comme le déroulé d’une partition de musique. On peut faire cela quand on sent qu’artistiquement cela marche, et sert le portrait d’un point de vue structurel. 

Je comprends que vous gardez une certaine liberté sur votre style et le choix du portrait que vous allez faire. Comment abordez-vous la conclusion, la fin d’un portrait ?

Pour moi, la conclusion doit donner une sensation de bien-être. On est généralement face à des personnes alignées avec ce qu’elles sont, qui elles sont, et qui veulent vraiment revenir sur le fait que tout converge vers le projet dans lequel elles sont, donc j’essaie de relier toutes les thématiques disséminées et qui attestent que tout est en place pour que la personne s’éclate dans ce qu’elle fait. Il y a différentes façons d’arriver à la conclusion, mais quoi qu’il en soit, on vise souvent une conclusion positive, qui n’amène pas à une autre problématique à traiter. 

Quel est le fil rouge entre tous les portraits ? 

Ce que nous voulons défendre, c’est que dans la Maison Trafalgar, il y a une place pour tous les profils et les parcours. Ce n’est pas parce que tu ne viens pas d’un parcours classique que tu n’as pas ta place. Ce n’est pas parce qu’on est dans un contexte professionnel qu’il est interdit de parler de famille, de références culturelles, au contraire tout cela forme un tout. On résonne assez peu avec la mention d’une école ; on n’est pas obligé de s’en tenir à ça. On est beaucoup plus touché par des histoires de vie. Le message se résume au fait que vous pouvez oser vous dévoiler, confier une partie de vous. Vous verrez que c’est précisément avec ces moments-là que ceux qui liront le portrait résonneront. Quand j’ai reçu un tapissier, j’ai vraiment été ému par le début de son histoire. L’enfant qui découvre les ficelles du métier, les couleurs et les odeurs associées qui lui ont donné envie d’en devenir un. L’émotion renforce beaucoup plus le portrait. 

Peux-tu me parler de ton écriture, que tu décris comme scientifique ? 

Pendant la période où j’ai monté la Maison d’édition, j’étais très préoccupé par la stylistique. J’ai écrit près de 200 pages de stylistique pure, j’étais vraiment allé dans le détail : pourquoi ce mot et pas un autre, pourquoi cette rime, ce chiasme à tel endroit, à quel moment arrêter sa phrase, utiliser un prénom relatif, comment ne pas perdre le lecteur en route avec les redirections… J’ai tout décortiqué, et c’est peut-être mon bagage scientifique qui m’a conduit à faire cela. Sachant que je n’ai pas du tout une approche académique ! Une de mes premières préoccupations quand je suis arrivé dans la Maison Trafalgar a été d’insister sur l’utilisation du point-virgule, par exemple. J’ai absolument voulu le mette en avant, car je trouve qu’on ne l’utilise pas suffisamment. Je voulais utiliser tellement bien, et tellement chirurgicalement le point-virgule, que je voulais montrer qu’à certains endroits, il n’y avait que le point-virgule qui pouvait être utilisé. Donc je tournais les phrases jusqu’à ce qu’il soit la seule issue possible. Idem pour la place de chaque mot, c’est pour cela qu’on pourrait qualifier mon style de scientifique – mais scientifique dans la littérature, dans le sens structuré, détaillé, pointilleux, pas comme dans un magazine ou une revue scientifique. Chez Trafalgar, mon challenge est d’utiliser le nombre minimum de mots pour exprimer mon idée comme je le veux, c’est mon petit délire à chaque phrase ! C’est vrai que dans tout ce qu’on écrit à l’école, il nous est demandé de bien mettre en évidence les articulations logiques « en effet », « de plus » « donc » « en conclusion »… Plutôt que de bien écrire, on essaie de prouver qu’on a compris, cela crée de la prose assez chargée, et il faut se débarrasser de ce réflexe-là quand on arrive sur des écrits ou sur des portraits lus par des « vrais gens » pour le plaisir, et pas pour vérifier les connaissances. 

Sur une journée classique, as-tu des méthodes pour t’organiser ? 

Je ne sais pas écrire quand j’ai faim ! C’est impossible ! Donc je vais m’organiser en « pulsant » avec une écriture intense le matin. Puis je me pose, je relis, je vérifie si je n’ai pas oublié une idée, une citation, laissé passer un besoin, en me laissant embarquer par l’écriture. Je vais mettre mes petites notes entre crochets, me laisser des petites instructions. Je déjeune, et j’attaque à nouveau dès que je sors de table. Mais comme je suis Portraitiste, j’ai peu de gestion de mails, ce qui m’occupe surtout, c’est l’écriture et la préparation d’entretiens. Sinon, je m’occupe des éventuelles retouches des portraits déjà livrés, en direct avec les clients. Les modifications sont souvent très légères, ce sont plutôt des petites adaptations, des reformulations. 

Sur quel point es-tu vraiment vigilant dans ton écriture ? 

Il y a une signature Trafalgar, donc des éléments qui reviennent, soit par hasard, soit parce qu’on est influencés. Comme on se lit entre nous, on peut par exemple avoir utilisé une même expression. Donc nous veillons à cette diversité. Sinon, comme je ne fais pas beaucoup de jets, quasiment un jet direct, je passe énormément de temps à bidouiller chaque phrase jusqu’à ce qu’elle soit exactement comme je veux avant de passer à la suite. Je fais rarement une première ébauche pour la reprendre. 

Comment vois-tu ta courbe de progression, en tant que Portraitiste mais aussi en tant qu’Auteur ? 

Quand j’ai commencé chez Trafalgar, il y avait des sujets sur lesquels je n’étais pas très à l’aise. Comme je n’ai pas de désir d’enfant, je n’étais pas hyper bon sur les sujets qui touchaient à la maternité par exemple, et j’avais du mal à me projeter là-dedans –comprendre émotionnellement les personnes qui avaient cet ancrage très fort, ressentir ce que signifiait pour eux d’être père ou d’être mère. J’ai énormément progressé là-dessus, maintenant je peux vraiment m’adapter à n’importe quelle personnalité en terme d’empathie, ce qui au départ était un peu difficile car on arrive forcément avec ses convictions, ses pensées. L’idée n’est pas d’arriver chez Trafalgar en changeant ses convictions, mais de comprendre l’autre. Et honnêtement, cela m’a permis de beaucoup progresser, en tant qu’auteur, dans l’écriture de l’être humain. Il n’y a pas de tricherie possible avec un portrait. Un personnage de fiction, on peut le rendre aussi intéressant qu’on veut. S’il est inintéressant c’est parce qu’on la choisi, donc on ne va pas se priver pour le critiquer ; c’est généralement ce qu’il se passe quand les auteurs décrivent des bureaucrates, des financiers… Toutes les personnes sont intéressantes à partir du moment où on prend le temps de s’intéresser à elles, donc j’ai énormément progressé en termes de psychologie. J’ai d’ailleurs complètement changé mon fusil d’épaule car l’écriture chez Trafalgar a pas mal nourri ce que j’écris en parallèle de manière personnelle. Au départ, j’étais quelqu’un qui écrivait beaucoup pour les scènes d’actions, les combats, et je me suis pris de passion pour la psychologie humaine. Je pense que cet aspect se ressent beaucoup, maintenant, dans ce que j’écris. Et puis je suis quelqu’un qui écrit beaucoup en termes de volume ; le portrait m’a vraiment forcé à être concis. J’avais du mal à rester dans des formats, je suis encore quelqu’un d’assez verbeux, je crois, j’ai toujours envie d’en rajouter. Donc savoir s’arrêter aussi ! 

As-tu une lecture à nous recommander ? 

L’incontournable, et pour le coup c’est très drôle et très piquant, c’est La Bruyère, Les Caractères. Pour moi, c’est le fondamental du portrait, car comme il le disait, les caractères sont des petites fenêtres. À travers des personnages, il nous décrit toute l’humanité, et je trouve que c’est vraiment très amusant à lire, très bien écrit, assez varié. Sinon, en terme de fiction : La Horde du Contrevent de Damasio, qui serait pour moi un super sujet d’études parce que l’intrigue – la quête – est très simple, mais ce qui est innovant dans ce livre, c’est que l’auteur alterne de manière extrêmement rapide les points de vue de tous ceux qui participent à l’expédition. Tu peux en avoir 2, voire 3 sur une seule page ! Damasio est fort parce qu’il ne fait pas de rupture dans l’intrigue, mais surtout parce qu’il a développé un style d’écriture propre pour chaque personnage. Certains sont écrits au présent, d’autres au passé, d’autres dans un style super argotique, ou ultra scolaire. Le géomètre n’écrit pas comme le noble du groupe, le saltimbanque n’écrit qu’en jeux de mots, en rimes, en allitérations… Et dans l’idée, je pense que c’est aussi ce que nous faisons avec les Portraits Trafalgar. Si j’écris sur un horloger, comme le Portait doit être une pièce unique pour la personne qui l’est aussi, je vais m’amuser avec des sonorités qui font penser au tic-tac, je vais mettre pleins de trouvailles autour de son univers, puis passer d’un homme hyper minutieux, hyper précieux, à la description de morceaux de verre qui volent ; je vais m’adapter pour que tout s’enchaîne bien, mais sans laisser de côté les différentes facettes de la personne. Car ce serait aussi le piège de figer le portrait dans son genre : « ah tu es horloger ! Je vais te mettre toutes les possibilités d’écriture autour de la montre, tu seras horloger et rien d’autre ! » Non, car une personne n’est pas une couleur, elle est tout un spectre, et nous sommes aussi là pour rendre compte de la complexité des êtres humains. La Bruyère et Damasio, c’est vraiment très très bien, et je ne recommande pas cela à la légère !

Un grand merci à Valentin Decker pour la qualité de cet entretien.