Aurélien, Aragon


Il est peu de mots pour dire la justesse de ceux qu’Aragon fait vibrer dans ce roman, à l’image de ses protagonistes qui « évitaient de concert les mots attendus, les mots inutiles ». En miroir des vagabondages du personnage éponyme, flânant d’expositions surréalistes en salons dadaïstes, de cabarets excentriques en promenades parisiennes, la plongée troublante dans l’âme troublée d’Aurélien trahit l’errance de toute une génération. Pris entre deux guerres mondiales, incapable de se reconstruire du traumatisme du front, le dandy de l’île Saint-Louis incarne le « mal du siècle » sous le mode de la quête : quête de sens, quête d’envie, quête d’idéal. L’intrigue amoureuse qui se noue autour du personnage fuyant et déroutant de Bérénice relève alors d’une réflexion bien plus large sur les mécanismes mêmes de la passion. Une en particulier, qui sous-tend le roman tout entier : « Il y a une passion si dévorante qu’elle ne peut se décrire. Elle mange qui la contemple. Tous ceux qui s’en sont pris à elle s’y sont pris. On ne peut l’essayer, et se reprendre. On frémit de la nommer : c’est le goût de l’absolu. » S’y noyer et oublier la guerre, échapper à l’inconscience des années folles, donner un sens à l’amour, telle est la chimère qui rapproche – et dans le même temps sépare – Aurélien et Bérénice. « Elle ferma les yeux. Alors, se penchant sur elle, il la vit pour la première fois. » Un mirage auquel vous accepterez peut-être de vous abandonner, vous laissant conquérir au fil des pages par cette longue rêverie, aussi existentielle que poétique.