Portrait croisé de vie privée, Michèle et René
Qu’importe que l’un sache apprécier la plénitude d’un silence quand l’autre allume le son de la télévision juste pour l’ambiance. Qu’importe qu’à l’heure du goûter, la camomille tienne tête au cortège de cafés ; que l’une s’agace de voir sa propre dureté s’assouplir avec l’âge quand l’autre fait sienne la mélancolie d’Aznavour et de ses vers transformés en adages. Qu’importent les habitudes disparates et les printemps disparus, puisque toutes les contrariétés continuent de se dissiper d’un regard complice, que tous les contrastes s’évanouissent encore d’un baiser volé, qu’importe, car Michèle et René ont su conserver intact, l’idéal réconfort des idylles aux aurores.
Quoique l’histoire américaine fit vibrer ses tympans chaque fois qu’il franchissait les portes du Hot Club, repaire des amateurs de jazz, René ne se débotta jamais de ses origines italiennes. Il y avait bien sûr la voix de Maria Caniglia, qu’il entendit pour la première fois sur la radio de sa nonna, les retours récurrents au berceau de Montecassino, les fanfaronnades avec Rafael, qui les menèrent du Sud de Naples à Pompeï, jusqu’à la capitale Éternelle. Tour de chauffe des périples qu’il vivra plus tard avec Michèle, et les enfants, avec lesquels ils écoulèrent de nombreuses vacances romaines. Il y avait surtout Nardone, ce nom qu’il endossa une seconde fois quand son père l’incita à délaisser bagues et colliers pour les bacs de glaciers. Les espoirs paternels, aujourd’hui comblés et compris, le plantèrent au bon endroit, non loin du pont de la Feuillée que l’heureuse fortune traversa.
Car c’est en couple qu’ils ont cumulé les heures à ravir le gone de passage d’une boule à la pistache, ou le chef d’État dont les gardes du corps ne surent préserver la cravate de la tache. Ensemble qu’ils mirent de l’ardeur à risquer les rhumatismes, en plongeant un à un les bâtonnets glacés par moins trente degrés. Ensemble qu’ils peignirent les tables, sortirent les poubelles, firent la conversation aux clients et clientes, ensemble qu’ils bouclèrent les journées en préparant déjà la suivante. La réussite eut beau propulser René en haut de l’affiche, elle s’érigea surtout grâce à l’intraitable allant de Michèle, le pilier qui, par quelques élans d’autorité, honora l’objectif d’agrandir les locaux en mettant les points sur les i à chaque échelon de l’administration et de sa hiérarchie.