Portrait iconique de marque

Il est délicat d’échapper aux sirènes de la standardisation. Toutefois, j’ai décroché mes cinq étoiles en me gardant d’entrer dans toutes les cases de cette distinction. Pour ainsi dire, je ne brille jamais mieux que dans le contraste, qu’en respectant l’esprit frondeur qui m’a fondé ; qu’en faisant goûter à mes locataires les secousses de l’aventure dans mes Land Defenders chevronnés ; qu’en préférant la patine des meubles anciens, quitte à mettre à l’épreuve leur fonctionnalité ; qu’en laissant les vrillettes sculpter leur œuvre dans mes bois, et assumer leur apparente irrégularité. Sous mes airs impeccables et mon service d’expert, pointent donc les imperfections et cette familiarité propre à la pension familiale. Oh, je sais que ma coutume de nicher le luxe dans la simplicité tient pour certains du drame, mais je réaffirme que ce sont là tous les attraits de mon charme.

 

En rebroussant les chemins de mon histoire, vous vous perdrez dans des forêts de sapins qui ont vu défiler des lignées de fermiers et de paysans. Sur les anneaux de mon vieux bois scié en poutres et madriers, transformé en façades et mobiliers, se lisent des récits s’étalant sur cent ans. Car avant de me déployer en jardins et chalets, avant de recevoir avec entrain et chaleur, je fus mazots et greniers, cabanes et fermes brinquebalantes fichés dans les impénétrables voies des deux Savoie.

 

Avec eux, j’ai connu l’émotion de voir s’élargir des généalogies qui me sont restées fidèles, celle de voir Marie et Nicolas prendre trente ans et gagner en responsabilités, jusqu’à saisir les rênes de ma destinée. Certains qu’il est plus aisé de construire que de maintenir, leurs parents m’ont avoué la fierté qu’ils ont à leur égard. C’est vrai que je vieillis, mais avec les pieds solidement ancrés dans le terreau qui m’a vu croître. Ainsi la sœur, qui s’amusait à napper de sucre les rebords des verres, est désormais garante du bon fonctionnement de mes affaires. Son palais s’assure que mes gratins soient pareils à ceux de mamie Fernande, et que mes tartes aux pommes épaisses continuent d’être gourmandes. Je me remémore aussi l’intrépidité du frère qui sautait de mes toits enneigés, puis de poste en poste, acceptant tout le travail que j’avais à lui proposer. Lui qui apprit à faire deux avec un, conduit des travaux opportuns dans le seul but de me réhabiliter en conservant les tenants de mon identité.

 

Mes alarmes avaient l’habitude d’extirper du lit toute la maisonnée alors vouée au rôle de vigie, et auquel ne rechignaient pas Nicolas et Marie. Je me souviens d’ailleurs que ces deux-là aidaient aux préparatifs des échéances qui cadencent mes années comme une ritournelle. À Noël, chacun s’échinait à muer les oranges en pommes d’ambre par quelques clous de girofle savamment plantés, et qui suffisaient à me charger des effluves de la fête. Je confesse avoir subtilisé à cette famille bien des réunions, et cela pour permettre à d’autres de connaître des moments d’exception. Afin de me faire pardonner cette enfance passée entre deux portes, la fratrie faisait de mes buffets du matin et du goûter le prolongement de leur cellier. Il en allait ainsi, lorsque j’étais à la fois office et foyer.