Portrait iconique de marque 

Je me souviens de tout ! De mon premier souffle expiré dans une chambre d’ado, et de mon arrivée dans chaque nouvel entrepôt. Je me souviens de mes collections exposées dans un garage, et de la moindre parure shootée dans les plus beaux paysages. Oui, je me souviens de tout ! De ces sourcils soulevés par l’étonnement et de ces rires étouffés chaque fois que j’affirmais, avec précocité, que mon ambition était de devenir une référence de l’outdoor en plus d’être le partenaire de glisse idéal. Idéal mais surtout durable ! Il y a longtemps que j’ai appris à surmonter les moqueries, et je me rends compte aujourd’hui que mon éducation forgée sur le tas est à la base de mon énergie inépuisable. Peut-être cette lucidité est-elle une preuve de maturité : après tout, j’ai déjà dix ans !

Mon emblématique sapin colle autant à la peau des riders qui mordent la poudreuse, à la suite d’un gros trick périlleux, qu’à celle des fonceurs qui mordent la poussière après un flip désastreux. Ces trois-là m’ont enseigné que si les somptueux habits ne sont pas forcément gages de bonnes manières, rien n’aurait pu les empêcher d’être confectionnés avec les bonnes matières ! Il est vrai que l’idée de fondre mes perspectives d’avenir, dans des chutes de tissu et des bouteilles en plastique, a d’abord accroché le scepticisme des banquiers. Je ne leur en veux pas. L’un dans l’autre, comment auraient-ils pu prévoir les courbes ascendantes de mes bilans de santé, et cette incroyable poussée de croissance qui a ponctué ma troisième année ?

À cet égard, les anniversaires sont l’occasion d’entendre de vieilles rengaines pleines d’amour lâchées par ceux qui s’étonnent à chaque centimètre pris par le petit Picture. S’ils le pouvaient, ils me pinceraient la joue puis, d’un geste significatif, rapprocheraient l’index du pouce, en me gratifiant du classique « tu sais, je t’ai connu, t’étais comme ça ! » Pour certains gars de mon âge, une telle démonstration est synonyme d’embarras. Pas pour moi ! Car voyez-vous, je sais pertinemment que sans eux, mon style élaboré et mes principes bien ancrés n’auraient été que griffonnages dans un carnet vite oublié. Et mes beaux impers, mes paires de gants écolos et mes airs de perfectionniste rigolo n’auraient jamais dépassé le stade de la discussion entre doux rêveurs – trois potes déterminés à contrer l’imposture en donnant à l’éthique une fière allure ! 

Je me prendrai certainement encore quelques boîtes qu’on se remémorera en se marrant, en se promettant de ne pas se passer de pommade sur les sujets glissants ; j’aurai sûrement l’occasion de voir de nouvelles bosses me pousser sur le front après un virage manqué, mais ces égratignures ne seront que les stigmates d’une leçon bien rentrée ! Et puis, j’ai encore beaucoup à dire, beaucoup trop à faire, pour m’endormir sur mes lauriers. Je sais que les responsabilités n’iront pas en s’allégeant ; apparemment, tel est le monde des grandes personnes. Mais j’aime à dire qu’un adulte créatif, est un enfant qui a survécu, et je compte bien assurer, en puisant dans cette fougue qui m’est si caractéristique. Ah, vous savez, je suis pas le genre à porter un regard nostalgique sur ma jeunesse mouvementée, certain qu’il n’est de plus belle époque que celle qu’on est en train de traverser. J’ai peut-être déjà dix ans, mais je vous l’annonce tout de go : mes premières rides sont encore loin de signer mes derniers rides !

Portrait croisé d’associés, Julien, Jérémy et Vincent 

Les journées défilaient désormais au gré des sessions au skatepark ou sur le parking du supermarché, dès que le côté agitateur prenait le dessus. Les heures, elles, se tuaient devant les prouesses de Gigi Rüff et de JP Solberg. Et quand les flocons commençaient à tomber, les voitures se chargeaient fissa pour le grand frisson : une descente sur les flancs fraîchement couverts de Tignes ou de l’Alpe d’Huez. Afin d’encenser ce petit monde qu’ils ont su se bâtir, le crew se dota d’un nom. Dans les environs de Clermont, il devenait habituel de voir ces fugueurs d’un soir parader et d’entendre leurs scooters pétarader. Le clair de lune se faisait alors le témoin de fiestas durant lesquelles les délits de cachottier côtoyaient les délires d’initié.

Mais le plus ardu n’était pas ces tournées commerciales dans tout l’Hexagone, ni ces mythiques démonstrations des vertus de la fibre biocéramique, qui conduisirent Picture à prendre ses aises sur les étals de centaines de boutiques. Ce n’était pas non plus ces nuits passées à préparer les commandes dans ce petit entrepôt collé à un contrôle technique, ni même la valse de voyages de courte durée et leurs pesants décalages horaires, que connaissait Julien depuis un bail et qu’il endurait sans bailler. Non, le plus ardu était surtout de tisser le bon nylon ; de filer le bon coton afin d’éviter que l’ADN écolo de Picture ne se disloque au moindre zoom de microscope. C’est donc engoncés dans des costumes plus ou moins bien ajustés que Jérémy et Julien se sont envolés pour la Turquie, après avoir trouvé une liste d’usines certifiées GOTS. La tournée des grands ducs fut âpre, mais n’obscurcit en rien cette bonne étoile qui semblait planer au-dessus des trois associés.