À quel moment de ta vie as-tu développé un rapport sensible aux mots et à l’écriture ? 

Sans doute très petit. J’ai lu autant que je le pouvais dès que j’ai su lire, écrit autant que je le pouvais dès que j’ai su écrire. Peut-être aurais-je perdu ce goût si je n’avais été tenu loin des écrans, si j’avais été élevé dans une famille plus prompte à se livrer à des activités communes ; mais nous étions des solitaires, et la principale source de divertissement chez nous était l’importante bibliothèque du salon. Alors j’ai continué de lire et d’écrire. J’ai connu une activité épistolaire soutenue, au collège et au lycée, qui surprendrait sans doute beaucoup aujourd’hui. Enfin, le choix d’un bac littéraire et d’une prépa littéraire n’ont bien sûr rien fait pour m’éloigner des livres. J’ai publié en 2011 les Méditations Aquatiques… j’ai ainsi réalisé mon rêve d’enfant !

Et à la rhétorique, jusqu’à devenir expert des techniques de conviction écrites ou orales ?

Je pense que ma pratique quotidienne de l’épistolaire pendant des années constitue un des premiers jalons de ma spécialisation. Mais, plus généralement et sans parler nécessairement d’écriture, j’ai toujours été un peu fort en gueule et animé d’une envie de convaincre, conjointe, je l’espère et le crois, à une honnêteté intellectuelle qui me fait ranger les armes lorsque je sais que j’ai tort. La pratique du théâtre m’a bien sûr aidé à étayer, et tout à la fois canaliser, cette envie. Ma spécialisation en philosophie au concours de l’École normale supérieure, puis l’étude assidue d’Aristote au programme de l’Agreg, ont renforcé mon goût pour les raisonnements robustes. Mon étude de l’épistémologie a aiguisé mon goût pour les démonstrations à la fois brèves et puissantes. Je me suis ensuite spécialisé en logique propositionnelle… avant de remporter des concours d’éloquence et de comprendre combien les armes de la logique m’y avaient aidé. Bien sûr, la pensée analytique et la rhétorique ne sont pas identiques, mais j’observe entre elles une parenté, celle de l’exigence formelle, du souci de la structure, et surtout, de la rigueur du langage à des fins de démonstration. À partir de mes études supérieures, donc, je n’ai plus jamais su me passer de la rhétorique, si bien que j’en ai fait mon domaine d’expertise. C’est alors, et alors seulement, que j’ai découvert les orateurs antiques et que l’Institution oratoire de Quintilien est devenu un de mes livres de chevet.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de rejoindre la Maison Trafalgar ? 

Le Portrait, tel que l’a conçu la Maison Trafalgar, est un travail honnête et droit, qui se donne pour but de dire d’un individu, d’une entreprise, d’une institution, ce qu’il ou elle est profondément. Les portraitistes, à cet égard, possèdent un savoir-faire peu commun et une maîtrise du langage tout aussi peu commune. En revanche, la Maison Trafalgar n’approchait pas encore les techniques oratoires, les techniques rhétoriques, les techniques de discours, ni la transmission de nos savoirs par la formation. De fait, mon arrivée dans l’équipe et la réunion de nos compétences, qui laisse intact le savoir-faire originel de Trafalgar, permet à cette Maison complète d’être à présent une référence dans tous les domaines liés au langage.

Pourquoi est-il nécessaire qu’une Maison comme Trafalgar existe ?

Je crois la littérature et les mots anthropologiquement nécessaires ; je crois aux pouvoirs de la parole, de l’imaginaire, de la littérature, de la poésie. Trop souvent, les métiers de communication, au lieu de travailler la qualité du langage, privilégient des stratégies qui le brutalisent, et qui font apparaître les messages rédigés à la va-vite comme une norme. De fait, cette norme s’installe et dégrade sans cesse le niveau général de la langue, ce qui pourrait ne pas être un problème en soi mais qui le devient si l’on considère, comme je crois réaliste de le faire, qu’un usage fin et précis de la langue garantit en retour un exercice précis et fin de la pensée. Trafalgar prouve que l’entreprise n’a pas nécessairement vocation à s’opposer à la littérature en général ; que tous les domaines du savoir et de la sensibilité ont pour ambition de s’étayer les uns les autres.

Est-ce que l’éloquence est un art qui s’apprend ?

L’éloquence s’apprend tout au long de la vie ; elle est le fruit d’un amour des mots, conjoint à l’opportunité de faire vivre cet amour, par la parole, l’écriture, la lecture, l’écoute. L’éloquence est affaire d’improvisation et de séduction. Les grands orateurs nous émeuvent et nous touchent, en sorte qu’ils nous convainquent non seulement par la qualité de leur raisonnement et de leur démonstration, mais aussi et peut-être surtout par ce nimbe invisible qui surprend nos cœurs plus encore que notre raison. En tous les cas, cette question n’est pas sans me rappeler celle qu’un client me posa un jour : « pourriez-vous m’apprendre l’humour » ? À lire ou entendre cette question, il vous apparaît sans doute, comme à moi, que cela n’est pas possible. Peut-être est-ce là une limite qui m’est propre, peut-être certains savent-ils enseigner le bagou, l’humour, le charisme… mais je ne les connais pas. Certains prétendent savoir le faire, mais leurs résultats sont au-delà de la déception. 

De quelle manière, et pourquoi, apprendre l’art oratoire ? 

Cet « art » rassemble toutes les techniques et situations d’expression orale, et je distingue, au sein de l’art oratoire, trois niveaux : les fondations de l’art oratoire sont constituées de ce qu’il est convenu d’appeler la Prise de Parole en Public. Les murs de l’art oratoire sont faits de Rhétorique. La charpente, la toiture et au-delà, relèvent de l’Éloquence. Il n’est aucune raison logique pour laquelle il nous paraît plus difficile de nous exprimer devant un public que devant nos proches. Si cette difficulté n’est pas logique, c’est qu’elle est irrationnelle – et elle l’est, véritablement. Nos perceptions nous trompent et génèrent des attitudes, des sensations que ne provoquerait aucune situation de conversation classique. Pour autant, si les causes sont irrationnelles, absurdes, les effets n’en sont pas moins là : et nombreux sont ceux qui, devant un public, perdent leurs moyens et n’apparaissent pas tels qu’ils sont. Une formation approfondie suffit à retrouver ce naturel qui n’aurait jamais dû les quitter, et qui est le seul et unique but d’une formation en prise de parole en public ; ce qui explique, d’ailleurs, qu’une joyeuse confusion se soit installée entre « prise de parole en public » et « développement personnel », alors même qu’il n’est aucun lien direct entre les deux. Si une personne retrouve son aisance à parler devant un public, elle peut s’en sentir mieux du point de vue psychologique ; mais ce n’est là qu’une heureuse conséquence du travail en prise de parole en public, et non un but de ce travail. Quant à la Rhétorique, elle s’apprend. Les techniques de conviction existent, de même que les techniques de construction du discours, d’argumentation, etc. Une technique, par définition, s’apprend et se transmet. Nul n’est obligé de maîtriser ces techniques. Mais, si l’on postule qu’il n’est aucune prise de parole, y compris dans le cercle de nos proches, qui ne soit une tentative de convaincre l’autre – à l’exception notoire des discussions météorologiques, qui sont pour cette raison les plus ennuyeuses qui soient –, alors il faut admettre qu’il sera très utile, sinon nécessaire, de maîtriser la rhétorique, celle-ci étant définie comme « art de convaincre »

Tu dispenses pour les clients de la Maison Trafalgar un certain nombre d’ateliers, de conférences et de formations, que représente pour toi le fait de transmettre ?

Un certain nombre en effet, car la demande est croissante. Je considère que chaque individu doit, idéalement, s’assigner l’une, l’autre ou les deux fonctions suivantes : celle de créer ce qui n’existait pas (un discours, par exemple) et/ou de transmettre les méthodes qui permettront à d’autres de créer. J’éprouve par ailleurs une grande joie à transmettre ! Ceci est valable non seulement pour l’art oratoire, mais encore pour toutes mes formations professionnelles. C’est d’abord l’occasion pour moi de m’entraîner à l’art oratoire, ce qui est d’une importance considérable si l’on veut maintenir un certain niveau ; ensuite celle de questionner ce savoir, en le confrontant à la compréhension des autres, laquelle me permet de structurer ma pensée, de la rendre plus claire, plus méthodique ; enfin et surtout, le fait de voir apprendre et évoluer des personnes me procure une joie intense.

Les mots, certains préfèrent les lire, d’autres les écouter : est-ce une question d’époque ?

On rappelle souvent, à juste titre, que la transmission des contes, mythes, légendes, théories philosophiques, a pendant des siècles reposé sur la tradition orale. De ce point de vue, l’écoute n’a pas toujours été une question de préférence, mais bien une question d’époque. Il est important de garder en mémoire que la pensée s’incarne sous la forme de la parole et, historiquement, dans la parole prononcée. Je pense que depuis que la lecture et l’écoute sont deux moyens d’approcher les mots, chacun peut choisir l’une ou l’autre méthode pour des raisons si diverses qu’elles me semblent échapper à toute théorie générale. Pour ma part, je suis passionné de livres audio, ce qui ne m’empêche pas de me plonger avec délices entre les pages d’un roman ou d’un recueil de poésie. L’ouvrage considéré, la personne qui souhaite le lire ou l’écouter, le moment et les circonstances sont autant de variables qui accompagnent ce choix. Lorsque je suis au volant, par exemple, la question ne se pose pas vraiment !

Quelles sont tes ambitions pour la Maison Trafalgar ?

Trafalgar a tout pour devenir une institution dans le domaine du langage. Et c’est parce qu’elle produit des objets esthétiques, des objets d’une grande beauté, que je souhaite que cette Maison continue d’enrichir ses offres, comme elle le fait déjà, avec toujours plus d’exigence et de soin.

Une anecdote liée à la Maison ? 

Le fait que je m’y engage est en soi le résultat d’un hasard initial. Le jour où j’ai fait le tour du site internet de Trafalgar, j’ai été très impressionné par la mission de la Maison, par son esthétique, par son positionnement et par sa robustesse. Je ne cherchais pas de travail ; Marion, Bérengère et moi nous sommes rencontrés et nous avons tous trois conçu combien il serait pertinent de créer un nouveau domaine d’activité stratégique qui ouvrait sur de plus vastes possibilités, un nouveau pôle, et donc un nouveau poste. En sorte que je suis là d’où je vous parle aujourd’hui !