Les associées de la Maison Trafalgar, Marion et Bérengère, ont répondu aux questions de Aliénor Vinçotte, journaliste du Figaro Littéraire. Un entretien à découvrir ici :

 

ENTRETIEN CROISÉ – « Vous avez l’aplomb, nous avons la plume. » Telle est la devise de la Maison Trafalgar, cette entreprise de rédaction composée de portraitistes littéraires. Fondée par Marion Derouvroy et Bérengère Wolff, à l’âge de 22 et 25 ans, l’entreprise fête ses dix ans de création. En quelques années, les deux entrepreneures lyonnaises ont su imposer leur plume auprès d’artisans, de dirigeants, d’industriels ou de grandes marques, en redonnant à l’écriture la place qu’elle mérite dans un monde saturé d’images. Dans cet entretien croisé, elles reviennent sur leurs débuts, leur modèle, et partagent leur vision d’une écriture engagée au service des entreprises.

LE FIGARO. – Vous vous présentez comme une « maison d’écriture haute couture ». Que signifie ce positionnement ?

Bérengère WOLFF. – Cela signifie que nous sommes des artisans des mots. Nous avons créé une maison spécialisée dans le portrait écrit et littéraire, avec une exigence de style et de fond.

Marion DEROUVROY. – Nous ne sommes ni une agence de communication, ni des journalistes, ni des « ghostwriters ». Nous ne sommes pas non plus des biographes ou des rédacteurs indépendants. Lorsqu’on s’est associée avec Bérengère il y a dix ans, c’était pour créer une véritable entreprise et développer l’employabilité des talents littéraires. Aujourd’hui, nous avons des emplois durables pour notre équipe de plumes, en interne. L’idée était de valoriser l’écriture en entreprise et de sortir les métiers littéraires de la précarité.

LE FIGARO. – Comment avez-vous rendu ce modèle viable ?

B.W. – Avec Marion, nous partageons une vision entrepreneuriale forte. Nous avons misé sur le portrait, que nous pouvons décliner sous différents formats : manifestes, contes, poèmes. Nous proposons aussi des versions audio, des illustrations, de la mise en page, de l’impression, et même un accompagnement à l’art oratoire et à la prise de parole en public.

M.D. – Le développement s’est étalé sur dix ans. Tout ne s’est pas fait en un seul jour. Lorsque nous nous sommes rencontrées il y a dix ans sur un webzine littéraire, j’étais étudiante en lettres et je m’amusais à écrire sur un webzine le portrait de jeunes audacieux de moins de 30 ans. On en avait assez d’entendre que les jeunes n’étaient bons à rien, que plus personne ne lit. Notre entreprise est née de la demande c’est-à-dire que nous avons reçu des demandes de devis à la suite de cette première aventure. C’est ainsi qu’on a créé la première maison de portrait écrit en France.

« Nous avons travaillé avec acharnement pour construire notre image de marque avec une offre claire autour du portrait écrit. » Marion Derouvroy

LE FIGARO. – Ce choix entrepreneurial était risqué…

M.D. – Nous avons voulu faire le pari des formats longs, à rebours des tendances actuelles. Nous sommes dans une société où tout va très vite et chacun a une capacité d’attention extrêmement réduite. Nos entretiens d’extraction durent quatre heures. Nous avons travaillé avec acharnement pour construire notre image de marque avec une offre claire autour du portrait écrit, que ce soit celui d’un dirigeant, de collaborateurs, de la marque elle-même, d’un lieu voire d’un produit. On a réussi à pousser la démarche jusqu’au bout : aujourd’hui, sur la fiche de paie de nos salariés, il est indiqué Portraitiste littéraire.

LE FIGARO. – Que viennent chercher les entreprises lorsqu’elles viennent vous voir ?

M.D. – Beaucoup nous disent qu’ils ont essayé d’écrire sur leur entreprise mais sans arriver à parler d’eux-mêmes avec assez de recul. Ils expriment le besoin de faire appel à un regard extérieur. Ils viennent aussi chercher une belle écriture et le fait d’avoir un texte qui ne va pas ressembler à celui du voisin ou du concurrent.

LE FIGARO. – Qu’est-ce qu’un bon portrait selon vous ?

M.D. – Nous sommes sensibles au rythme. Souvent, il y a cette idée que l’écriture littéraire correspond à quelque chose de faste et de « rococo », alors que pour nous, une belle plume, c’est une plume qui a été ciselée et un bon portrait est celui où il n’y a plus rien à ajouter, ni à retirer.

B.W. – Le portraitiste doit être capable d’apporter une vraie structure au texte qu’il écrit et qui va devenir un socle pour l’entreprise qui le commande. Les entreprises sont très morcelées dans leur manière de se présenter, que ce soit sous forme d’onglets ou via un dossier de presse. Pour nous, le lecteur doit avoir, dès les premières lignes, l’impression d’entrer dans un univers, de visiter le lieu ou de sentir les odeurs. Cela doit être extrêmement imagé.

« Ce que les entreprises viennent chercher chez nous, c’est cette expérience complète, immersive. » Bérengère Wolff

LE FIGARO. – En quoi vous différenciez-vous des plumes, travailleurs indépendants ou créateurs de contenus ?

M.D. – Nous avons la chance d’avoir un processus collectif. Le rédacteur indépendant est souvent seul dans l’acte d’écriture et dans la gestion des clients, ce qui peut créer une souffrance. À lui seul, il facture son client, écrit, gère le service après-vente. Lorsque quelqu’un signe chez nous, il est suivi par toute l’équipe. Avant livraison, chaque texte passe par un comité de lecture animé par un portraitiste expérimenté, devenu chef d’atelier.

B.W. – D’ailleurs, d’un point de vue juridique, nos portraits ont le statut d’œuvre collective. Ce que les entreprises viennent chercher chez nous, c’est cette expérience complète, immersive. Ce texte, qu’ils viennent chercher, va avoir un côté très unificateur et va devenir un véritable socle pour leur entreprise. Il va porter leur stratégie. Nous parlons de « perma-écriture », c’est-à-dire qu’on crée un texte qui traverse le temps, à l’opposé de la consommation rapide de contenus.

LE FIGARO. – Avec la montée en puissance de l’intelligence artificielle, ne craignez-vous pas une baisse des commandes ?

M.D. – Bien sûr, quand on voit arriver l’intelligence artificielle, nous avons d’abord peur pour tous les rédacteurs indépendants qui ont déjà des difficultés à trouver des clients aujourd’hui. Mais une IA ne peut pas écouter quelqu’un pendant quatre heures, ni traduire des émotions subtiles puis créer un texte qui touche parfaitement la personne. Nous avons beaucoup travaillé sur notre positionnement et ce qui fait notre différence. L’IA va aussi permettre de faire le tri entre ceux qui veulent des textes standardisés pour leur site internet et ceux qui cherchent un vrai style littéraire.

B.W. – Beaucoup d’entreprises viennent chez nous pour nous confier leur histoire avec un historique très long, notamment lorsqu’il s’agit d’entreprises familiales. Cette recherche de l’incarnation ne pourra pas être faite par l’intelligence artificielle.

LE FIGARO. – Que faudrait-il faire pour donner un vrai avenir aux littéraires dans le monde professionnel ?

M.D. – L’Université Paris-Sorbonne avait créé justement un dispositif surnommé « Opération Phénix » qui avait vocation à sensibiliser les entreprises au recrutement des littéraires. Nous intervenons dans les écoles, les universités, dans les classes préparatoires littéraires pour sensibiliser à l’entrepreneuriat. Trop de littéraires ignorent tout du monde de l’entreprise au moment de chercher un stage. Ce n’est absolument pas normal qu’ils soient aussi peu sensibilisés aux atouts qu’ils pourraient apporter aux entreprises. Il faut aussi encourager la solidarité entre eux pour trouver des solutions collectives.

B.W. – Je suis la seule de l’équipe qui n’a pas le profil littéraire donc je n’ai jamais écrit de portrait. Mais j’ai réussi avec Marion à embarquer ces talents dans l’aventure entrepreneuriale avec une mission : redonner à l’écriture ses lettres de noblesse en entreprise. Aujourd’hui, certaines entreprises veulent « un Portrait Trafalgar », c’est une vraie réussite.

M.D. – Nous ne travaillons pas en marque blanche : nos portraits sont signés « Maison Trafalgar » et publiés sur les sites des entreprises. Il reste un gros travail de pédagogie : le budget écriture est souvent le parent pauvre. Nous essayons de changer cela.

LE FIGARO. – L’entrepreneuriat littéraire est-il un secteur qui peut se développer ?

M.D. – Absolument. D’autres structures portées par des littéraires émergent : « L’école des mots », « Plume », « Bookinou », etc. L’entrepreneuriat au sens large, c’est-à-dire pas seulement autour du fait d’écrire, porte un combat commun pour la revalorisation de l’écriture, de l’expression de la langue française. Les entrepreneurs littéraires sont encore discrets : il faut juste qu’ils puissent se fédérer pour avancer encore plus forts ensemble.

Un grand merci à Aliénor Vinçotte pour ce bel article dans Le Figaro !