Avoir et être, de Yves Duteil
Loin des vieux livres de grammaire,
Écoutez comment, un beau soir,
Ma mère m’enseigna les mystères
Du verbe être et du verbe avoir.
Parmi mes meilleurs auxiliaires,
Il est deux verbes originaux.
Avoir et être étaient deux frères
Que j’ai connus dès le berceau.
Bien qu’opposés de caractères,
On pouvait les croire jumeaux,
Tant leur histoire est singulière,
Mais ces deux frères étaient rivaux.
Ce qu’avoir aurait voulu être,
Être voulait toujours l’avoir.
À ne vouloir ni dieu ni maître,
Le verbe être s’est fait avoir.
Son frère avoir était en banque,
Et faisait un grand numéro.
Alors qu’être, toujours en manque,
Souffrait beaucoup dans son ego.
Pendant qu’être apprenait à lire
Et faisait ses humanités,
De son côté, sans rien lui dire,
Avoir apprenait à compter.
Et il amassait des fortunes,
En avoirs, en liquidités,
Pendant qu’être, un peu dans la lune,
S’était laissé déposséder.
Avoir était ostentatoire,
Lorsqu’il se montrait généreux.
Être en revanche, et c’est notoire,
Est bien souvent présomptueux.
Avoir voyage en classe affaires ;
Il met tous ses titres à l’abri.
Alors qu’être est plus débonnaire :
Il ne gardera rien pour lui.
Sa richesse est tout intérieure :
Ce sont les choses de l’esprit.
Le verbe être est tout en pudeur,
Et sa noblesse est à ce prix.
Un jour, à force de chimères,
Pour parvenir à un accord,
Entre verbes ça peut se faire,
Ils conjuguèrent leurs efforts,
Et, pour ne pas perdre la face,
Au milieu des mots rassemblés,
Ils se sont réparti les tâches,
Pour enfin se réconcilier.
Le verbe avoir a besoin d’être,
Parce qu’être, c’est exister.
Le verbe être a besoin d’avoirs,
Pour enrichir ses bons côtés.
Et de palabres interminables,
En arguties alambiquées,
Nos deux frères inséparables,
Ont pu être, et avoir été.