Dans ces vingt-et-un mille mètres carrés, plus d’une centaine de talents se consacrent à un travail minutieux et exigeant, des esquisses préliminaires aux sièges assemblés. En pénétrant par l’atelier tubes, vous aurez l’impression de déambuler dans une forêt étonnante, au milieu d’un parc de tiges en acier pouvant atteindre six mètres de haut. C’est là qu’elles sont pliées, écrasées, contrôlées, embouties par un chassé-croisé sécurisé, qui parachève les châssis des assises. Vous savez que nous fabriquons à façon, mais pas toujours de quelle manière. Chez nous, on élabore des outils maison à partir d’une pièce un peu casse-tête ; chaque défi technique est un régal, puisque notre industrie artisanale a fait de l’autonomie un parti pris radical. Passés le tonnerre des entrechocs et les sifflements des chalumeaux, passées les odeurs du métal en fusion, l’exploration se poursuit sur le même site, avec un tout autre univers. Dans l’atelier couture, certaines travaillent en musique après les échauffements matinaux. Puis, tout à coup, les rouleaux de tissus s’alignent, feutrent les conversations, le « tactac » cadencé des machines de pose ficelle – avant que ne reprennent les franches rigolades, et ce même humour qui pétille de voir les commerciaux tenter de les manipuler.

 

Dans ce Pays de Cocagne que sont les Landes, un certain goût du raffut et du labeur a toujours présidé. Lorsque la Seconde Guerre s’est abattue sur le territoire, un cycliste émérite du nom de Robert Navailles a prétendu qu’il s’entraînait en prévision du Tour de France, afin de berner les Allemands à la frontière, et de jouer les passeurs pour la Résistance. S’il paraîtrait même qu’il recueillit un parachutiste américain, et lui apprit à pédaler, il est avéré qu’à la libération, l’entrepreneur fixa son prochain point de chute en Argentine, où il créa une manufacture des cadres en partant de zéro. Et puisque le sport a sa façon de conjurer le sort, c’est en montant son affaire avec des marques italiennes remarquables que l’habileté de Robert finit par se faire remarquer. Il revint à Mont-de-Marsan, dans ce garage où il peignait à la main des fourches de vélo qui servaient aussi de piètements de chaises, jusqu’à ce que l’avènement de l’automobile ne lui fasse changer de fil conducteur – et que ses deux fils ne le rejoignent en 1966, pour fonder Navailles.

 

En plus du patois qu’ajoute chaque village, si vous tendez l’oreille, vous comprendrez que les discussions dans notre Manufacture empruntent des expressions venues de lointains rivages. Les cagettes rapportées par les agriculteurs du coin côtoient les freelances qui collaborent avec Navailles depuis d’autres continents. « Crafted for work », « boostrapping » et « test and learn » cohabitent avec les plâtras de volailles préparées à l’ancienne, avec le foie gras, les magrets de canard, avec les pauses à l’ombre qui protègent du cagnard – avec toutes ces coutumes qu’il faudrait être fada pour oublier. D’ailleurs, il n’y a rien d’absurde à perpétuer la mentalité du Gascon : jusque dans les années soixante, les bergers se perchaient sur des échasses pour gagner en hauteur de vue. Résilient et même un tantinet canaille, c’est cette philosophie qui dirige toujours Navailles.