Certains mots n'ont pas de synonyme

N’importe quel écrivain vous confiera la terreur lexicale qui s’empare de lui, lorsque ses personnages approchent d’une porte : « l’huis » ? Trop désuet. « La lourde » ? Trop argotique. Le malheureux en est bien souvent réduit à procéder par déplacement, à parler de seuil, d’encadrement… bref, à esquiver. Avez-vous déjà songé aux synonymes du mot « entrepreneuriat » ? Voilà. Il en va probablement du peintre qui aimerait plus de couleurs, du musicien qui aimerait plus de notes, comme il en va du portraitiste qui aimerait plus de mots, mais qui s’amuse chaque fois à composer avec !


Tribune - Art oratoire : prise de parole en salle de bains

« C’est à moi qu’tu parles ? C’est à MOI qu’tu parles ? C’est à moi qu’tu parles, e***** ? » 

— Mathieu Kassovitz, La Haine

Beaucoup auront conservé en mémoire la scène culte du film La Haine, au cours de laquelle le jeune Vinz, interprété par Vincent Cassel, s’adressant au reflet que lui tend le miroir de sa salle de bains, y admire sa prétendue capacité à passer pour un dangereux caïd. De quoi n’est-on capable, en effet, dans l’espace exigu de sa salle d’eau ? Combien de ténors, combien de divas, combien d’immenses comédiens sous le pommeau de douche ou face au robinet ? Autant que d’individus, peut-être. Nous sommes si grands d’être seuls face à nous-mêmes que, vraiment, l’enfer, c’est bien les autres.

La prise de parole en salle de bains, nous le voyons, fonctionne très bien ; elle fonctionne si bien que nul formateur ne prétendrait l’enseigner. Il en va de même de la conversation ordinaire, que la vie en société nous a permis, et même contraints, à maîtriser ; je jette à cet égard un voile de pudeur sur la pratique des « coachs » spécialisés en « tchatche », et dont le talent, conjoint à vos efforts, vous permettra de devenir un « Small Talker » de génie : car, comme l’assénait Pierre Desproges, « on n’est pas là pour enfoncer les charlots ».

Personne, donc, n’enseigne la « prise de parole en salle de bains » – ou plutôt, n’oserait désigner ainsi sa pratique professionnelle ; pour autant, dans les faits, bon nombre de formations en prise de parole en public, d’ouvrages sur le sujet, m’y font étrangement penser. Confondues avec le célèbre « développement personnel », dont je ne dirai rien ici non plus, elles vous invitent en premier lieu à vous protéger. Vous souffriez de vous exprimer en public ? Qu’à cela ne tienne : un petit verrou protègera votre intimité de toute intrusion. Cet élément d’huisserie incarne cette pensée, devenue prépondérante parce qu’elle constitue un excellent moyen d’attirer les clients : vous êtes tout d’or, de saphir et de diamant ; votre valeur individuelle est infinie, il suffit de la découvrir et de la révéler ; chacun de vous possède en soi-même le monde et l’univers ; seul le regard des autres, leur jugement – pourquoi pas ? – est à même de ternir votre somptueux éclat. Quelle injustice !

Plongez à présent, par le truchement de la psychè, dans les tréfonds de vos pupilles, afin de retrouver le paradis perdu de votre richesse intérieure. Ce geste symbolise le retour de la sacro-sainte « confiance en soi », dont il semblerait qu’elle soit la clef de… la clef de tout, en fait. Vous voici débarrassés des contingences, et de l’importunité des autres regards ; prêts, donc, à vider votre sac, empli de délicates et inestimables poussières d’étoiles. Souvenez-vous à présent de ce souffle court, de ces sueurs froides et autres tremblements incongrus qui s’emparaient de vous et vous faisaient perdre vos moyens, autrefois, lorsque vous vous teniez face à un public : que sont-ils devenus ?

Aucune méchanceté, gratuite ou non, n’anime ni ne motive mon propos ; et, après tout, on pourrait considérer que chacun a le droit d’enseigner ses connaissances comme il les comprend, et de la manière qui lui semble la plus profitable. Encore faudrait-il, néanmoins, que cette façon de faire soit profitable aux personnes qui déboursent des sommes, souvent non négligeables, pour progresser en art oratoire, et non au seul portefeuille du formateur. La situation est d’ailleurs plus grave encore, puisque ces formations, à défaut d’être utiles, sont au contraire parfois nuisibles : nuisibles à l’orateur ; nuisibles au public ; nuisibles à la société dans son ensemble.

Toute la difficulté de la prise de parole en public tient, on s’accordera sur ce point, à la présence d’un public. On en déduira deux conclusions, deux attitudes fort distinctes – et incompatibles : on peut enterrer sa tête dans le bac à sable des autruches, ou tenter de comprendre que l’angoisse qui nous étreint sous le feu des regards symbolise, non leur aigreur, mais la valeur, l’importance que vous leur accordez ; laquelle valeur, laquelle importance constituent ou représentent, c’est du moins mon avis, votre profond sentiment d’appartenance à une humanité que vous estimez. Le public n’est donc pas un problème : il est à la fois l’unique enjeu, et l’unique solution.

Il va de soi que je ne prétendrai pas avoir lu tous les ouvrages à ce sujet, que je n’ai pas consulté tous les sites internet, que je n’ai pas suivi toutes les formations, et que ce défaut d’exhaustivité m’invite à parler au conditionnel : il semblerait qu’on se soit bien peu efforcé de définir la notion de « public » puis, une fois cette définition formulée, de comprendre les caractéristiques, les attitudes, les attentes de ce même public. Je n’ai pas encore connu le bonheur de lire ni d’entendre qu’existe, entre l’orateur et son public, un contrat précis, jusques et peut-être surtout dans ses petites lignes ; je n’ai pas encore eu la joie en apparence cruelle de m’entendre confirmer que l’orateur doit abdiquer son importance et son bien-être pour ne plus se soucier que de prendre soin de son public. Son bien-être face au public, s’il vient, quand il viendra, ne sera là qu’un bénéfice collatéral, qui ne saurait constituer un but. Ceux que j’ai formés le savent : il importe très peu qu’ils se sentent bien, voire « personnellement développés » ; il importe beaucoup, en revanche, que leur public se sente bien, voire collectivement instruit. Car c’est de cela qu’il s’agit ; un public vous cède les deux plus grands biens qu’il possède : son temps, et son attention. Au regard d’un tel don, notre sentiment d’accomplissement, notre estime de nous me paraissent quantité négligeable ; après tout, sauf ordre hiérarchique (in)discutable ou menace, il est bien rare que nous soyons forcés de parler en public ; que saurons-nous rendre à ceux qui nous sacrifient leurs plus inestimables richesses ?

Poser ainsi le problème renverse les perspectives ou plutôt, nous permet de remettre les pieds sur Terre. Mettre en avant la difficulté de la prise de parole en public et la souffrance que l’orateur en ressent est très utile pour convaincre les consommateurs d’acheter des formations, comme sont très séduisants les titres des articles qui vantent les régimes alimentaires miraculeux, comme les ouvrages se targuant de donner au lecteur les « clefs » (généralement au nombre de trois, cinq ou sept) du bonheur, de l’épanouissement, de la félicité, sont d’autant plus nombreux qu’ils se vendent très bien. Pareille situation, je le répète, ne m’interpellerait pas si des conseils qui vont à l’encontre des principes de l’art oratoire n’en découlaient, participant ainsi à amplifier le mal-être de l’orateur… et du public. Douleur du public dont on parle fort peu et que nous connaissons pourtant tous avec une pénible acuité : ce professeur ennuyeux au possible, ce proche qui s’est longuement exprimé à l’occasion d’un mariage, cette conférencière penchée sur ses notes, aspirée par son micro, bercée par sa propre monotonie, nous ont offert autant d’occasions de nous demander ce que nous faisions là : si la vraie vie, décidément, n’était pas ailleurs.

Elle l’était.

La formation en prise de parole en public consiste, pour l’orateur, à retrouver puis à amplifier la capacité de converser qu’il maîtrise très bien, non dans sa salle de bains, mais lorsqu’il discute avec quelqu’un ; l’objectif en est de rendre au public la monnaie de sa pièce, de le justifier dans sa situation de public. Le public doit se sentir enlevé, conduit par l’orateur, comme il l’est par un spectacle captivant. Ce qui, assurément, ne passe pas par ce qui suit.

En toute logique, puisque ce type de formations prétend toucher à la psychologie – si ce n’est à la santé mentale – de ceux qui les suivent, elles doivent s’habiller d’une blouse blanche pour être crédibles. Les pseudosciences se ruent sur ce créneau comme une armée de Walkyries. Les formateurs brandissent leurs étendards : chiffres délirants et infondés sur l’attention dont les auditeurs seraient capables (à peine plus de dix pour cent du temps, nous dit-on), recette miracle nommée « storytelling », nécessité absolue de prendre le public à témoin et de lui poser des questions (ce qui, en vérité, l’ennuie considérablement), et surtout, surtout, surtout, l’injustement célèbre « langage non-verbal », qu’il serait salutaire d’évincer définitivement de ces formations. Je ne sais par quelle malignité se maintient la croyance grâce à laquelle cette théorie continue de passer pour scientifique. Les plus pointus des détecteurs de mensonges mis au point par la CIA ne donnent que des résultats si médiocres qu’on ne peut absolument pas s’y fier – et il faudrait que nous, qui ne sommes pas des machines, soyons infaillibles au point de sacrifier le contenu du discours au mouvement d’une oreille, au clignement d’un œil, à l’angle formé par le bras eu égard au reste du corps ? Combien de formations, de conférences, ai-je pu assurer bras croisés, sans qu’on puisse me soupçonner une seconde de vouloir me protéger ou me couper du public, sans que l’attention de ce même public faiblisse et moins encore n’atteigne le chiffre mythologique des « sept minutes d’attention par heure » ?

Tout ceci pourrait faire sourire. Pourtant, comme je l’annonçais, les conséquences de ces théories et de ces pratiques sont si catastrophiques qu’une bonne part de mes propres formations consiste à en supprimer les effets. Bien trop d’orateurs sont d’un ennui consternant, et en souffrent – et pour certains ne sont tels, ne souffrent autant, que parce qu’ils ont été formés, et le public d’en souffrir en miroir, d’un ennui consterné ; la parole, enfin, y compris politique – on le déplore assez, perd de son sens, de sa nécessité, de son charme, au profit de techniques qui n’en sont pas, et n’assurent pas même au discours l’apparence de son pouvoir réel.

Fort heureusement le bon sens reste, je veux le croire, la chose du monde la mieux partagée, et les formateurs et orateurs qui le partagent existent nombreux, et résistent à la tentation de la médiocrité et à celle de la pensée magique, contribuant à assainir les discours, et œuvrant ainsi au profit d’une émulation collective pour laquelle la parole, quand j’y songe, me semble être née. 

 

Virgile Deslandre
Formateur et expert en art oratoire de la Maison Trafalgar

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Notre Maison est née à Lyon, et attire des clients de tout l’Hexagone !

La Maison Trafalgar est une Maison lyonnaise, qui prend part depuis sa création à la dynamique culturelle et entrepreneuriale de son territoire. De Paris à Marseille, de Pau à Colmar, d’Annecy à Cherbourg, de Tours à Bordeaux, du Mans à Chamonix, de Reims à Avignon, de Grenoble à Clermont-Ferrand… notre carte de France ne cesse d’accueillir de nouvelles épingles !

Notre signature attire même des clients à l’étranger, en Afrique du Sud, en Nouvelle-Zélande ou encore à New York !

Vous avez l’aplomb, nous avons la plume ! Alors, où se cachent nos prochains clients prêts à faire le déplacement et à s’installer confortablement chez nous pour vivre la précieuse expérience de l’entretien d’extraction Trafalgar ?

Avant de fermer nos portes pour la période estivale, nous tenions à remercier nos clients pour leur fidélité, et souhaitons d’excellentes vacances à tous les amoureux des plus beaux paysages de France et de Navarre !


LDLC & Trafalgar : l’histoire se poursuit ! La Maison Trafalgar intervient auprès des étudiants de l’École LDLC, afin d'affermir leurs compétences en art oratoire

Depuis que la Maison Trafalgar a signé le Portrait écrit de Laurent et Olivier de la Clergerie, ainsi que ceux de 25 talents à l’occasion du 25e anniversaire du groupe, nos liens sont restés vifs. Selon des modalités de cours innovantes, l’École LDLC forme ses étudiants aux technologies et à leurs usages, à l’économie numérique, et au webmarketing. Qu’ils intègrent une entreprise, suite à l’obtention de leur bachelor, ou s’engagent dans une aventure entrepreneuriale, tous sont résolument tournés vers l’avenir et les perspectives qu’il ouvre. Tous, aussi, ont soif d’apprendre… et de dire ! Virgile Deslandre, directeur des opérations de la Maison Trafalgar et expert en rhétorique, a eu le plaisir d’intervenir auprès d’eux. 

En premier lieu, une formation de douze heures leur a été dispensée en art oratoire : qu’ils aient à passer des entretiens ou à présenter leur projet personnel, les étudiants de l’École LDLC ont besoin de maîtriser des techniques de conviction solides et éprouvées. En second lieu, Virgile a pensé pour eux une conférence sur ce thème : « L’économie de l’attention ». Cette fois, il s’agissait d’imaginer ensemble ce vers quoi allaient tendre nos sociétés face aux nouveaux enjeux du numérique tels que le métavers, afin d’adapter leurs stratégies aux réalités de demain.

Un grand merci aux étudiants de l’École LDLC qui n’ont pas manqué d’exprimer leur grande satisfaction à l’égard de nos interventions ! 




Un métier enclyclopédique

Le métier de portraitiste Trafalgar tane l’humilité tant les découvertes, liées aux secteurs de nos différents clients, sont variées. Dans le même temps, il reste un excellent moyen de rééquilibrer la balance en incitant à fouiller des domaines et des sujets que l’on n’aurait jamais pensé aborder. De ma rencontre avec des machines dédiées à l’injection plastique à ma plongée dans les rouages des compresseurs à air, de mes lectures sur la manière d’obtenir deux fromages aussi différents qu’un reblochon et un camembert en partant de la même matière première, en passant par les performances de twirling bâton ou le monde des passionnés d’aras : la liste est aussi longue qu’improbable !


Interview interne - Maxime, portraitiste

À quel moment de ta vie as-tu développé un rapport sensible aux mots et à l’écriture ? 

C’est la petite histoire un peu triste d’un collégien introverti qui n’avait personne avec qui jouer aux figurines Warhammer – un jeu de plateau où l’on peint des armées miniatures, dans un univers fictionnel, riche de trente ans d’ajouts continuels. J’avais très envie d’incarner les personnages à ma façon, de leur faire vivre des péripéties, alors au lieu de me morfondre ou de jouer tout seul, je me suis mis à imaginer des parties contre un adversaire factice, puis à coucher leur compte-rendu par écrit. Même si mes premiers récits ne volaient pas très haut – beaucoup d’action écervelée ! –, c’est un point d’entrée assez courant pour les aficionados de science-fiction, Fantasy, et consorts.

Qu’est-ce qui t’a donné envie d’en faire ton métier et de rejoindre la Maison Trafalgar ?

J’ai toujours été très intéressé par le langage, ou devrais-je dire « les » langages, puisque j’ai terminé mes études par un cycle de LEA Anglais-Japonais. Quand j’étais écolier, je rêvais d’apprendre aux machines à parler, à construire des phrases de manière non pas imitative mais systématique, en revenant à ce qu’est l’essence même d’un mot – c’est une chimère que je continue parfois d’interroger, à la faveur des heures creuses. Après quelques essais en correction de romans – trop rébarbatif –, de traduction de plusieurs romanciers – trop frustrant –, j’ai voulu me concentrer sur ce que je pouvais éventuellement parvenir à construire qui me soit propre, délimiter, développer, affiner mon style. Il y a quelque chose d’infiniment puissant dans l’exercice du Portrait, et travailler non pas sur des personnages, mais sur des personnes, est un défi qui trivialiserait presque l’écriture de fiction ! C’est donc une excellente école car le « matériau brut » nous est imposé ; il reste à ciseler les phrases, à coudre les fragments.

En quoi le métier de portraitiste est-il un métier qui te correspond ?

Parce qu’il assouvirait la curiosité d’un chat : sur un an, on peut autant écrire sur le travail de la soie, de l’informatique, des luminaires de haute facture, le métier de tapissier, le leader mondial des raquettes de tennis… Impossible de s’ennuyer ! On se rend vraiment compte des connaissances accumulées en voyant les grands yeux intéressés de ses amis ! Le métier de portraitiste me correspond aussi parce que même si le Portrait Trafalgar s’étend parfois sur deux pages, il se concentre sur des formats relativement courts pour de l’écriture à caractère littéraire. Romancier au long cours par ailleurs, je ne me serais pas vu attaquer d’autres projets ultra massifs, et la variété des sujets aide beaucoup à prévenir la fatigue mentale qui pourrait poindre à force. Chaque Portrait faisant l’objet d’un comité de lecture très affûté, l’on bénéficie en outre d’un suivi et d’un appui conséquents. Cela ne paraît peut-être rien, mais le parcours du romancier « classique » consiste à s’échiner sur un manuscrit de plusieurs centaines de pages avant d’obtenir un retour éditorial – et encore, s’il a de la chance. Ensemble, nous avons cet avantage immense de pouvoir rectifier le tir à rafales rapides !

Qu’appréhendais-tu le plus au moment d’intégrer la Maison Trafalgar ?

Probablement de savoir bien mener un entretien d’extraction, puisqu’ils peuvent durer jusqu’à quatre heures et qu’il convient de les rythmer – sans une quantité suffisante de matière à remodeler, le Portrait est mal engagé alors que le premier mot n’a même pas été écrit ! Comme bon nombre de personnalités attirées par l’écriture, je n’étais pas très à l’aise socialement ; l’exercice me semblait formidable avant de m’y essayer. Entre nous soit dit, je ne pense pas que je serais capable de mener des entretiens journalistiques : c’est parce que le cadre de la Maison Trafalgar est aussi apaisé, et aussi bienveillant, que je me sens à l’aise lors de ces longs « face-à-face ». Je ne sais pas comment certains font pour gérer leurs interviews lorsqu’elles ont parfois l’air d’être faites « contre » et non « avec » l’interviewé !

À quel moment te dis-tu qu’un Portrait est réussi ?

Lorsqu’il plaît à son destinataire, et donc au client de la Maison : voilà tout de même son objectif premier ! Même si l’on peut bien sûr avoir ses passages favoris, ses petites fiertés quant à une figure bien menée, notre arsenal de techniques n’a de sens que s’il fait mouche. À cet égard, notre écriture se rapproche de la cuisine. Un plat peut avoir autant de nuances, autant de finesse que possible, s’il n’est pas au goût de la personne qui l’a commandé, il ne vaut plus grand-chose.

Alors que plusieurs acteurs de la rédaction ont le statut de freelance, quel regard portes-tu sur l’internalisation des talents au sein de la Maison Trafalgar ?

C’est une opportunité unique de pouvoir structurer sa carrière, et son mode de vie, autour de l’écriture. La plupart des gens rêvent d’écrire à temps plein, mais les places sont chères et la littérature de fiction ne paye pas – ou très peu. Cette sécurité de l’emploi est essentielle pour se donner les moyens d’une production qualitative par ailleurs ; un portraitiste Trafalgar n’a pas à se poser de questions sur la façon dont il règlera ses factures à la fin du mois ! La spécialisation de notre poste nous permet aussi de nous concentrer sur le processus d’écriture, en écartant pour grande part les problématiques de suivi de projet, que connaissent bien les freelances. C’est une sérénité, une tranquillité d’esprit qui nous place dans les conditions idéales pour atteindre le plus haut niveau d’exigence !

Que dirais-tu de l’équipe de portraitistes ? 

Qu’ils sont tous des caractères dont La Bruyère aurait tiré de croustillants Portraits ! Comme il n’y a pas réellement de cursus formant à l’écriture créative – et moins encore à l’écriture de Portraits –, chacun vient d’horizons très différents, et chacun a nourri son style d’une sensibilité et de références uniques. C’est assez amusant de voir ce qui va immédiatement « trahir » le fait que tel Portrait a été écrit par tel portraitiste, même s’il faut avoir l’œil pour déceler cela !

Comment décrirais-tu la signature de la Maison Trafalgar ? 

Je pense qu’on peut la caractériser comme « consciente de ce qui est attendu d’elle », c’est-à-dire que la signature Trafalgar écrit avec un objectif défini. Cet objectif recouvre deux versants qu’on oppose souvent, à tort – la concision et l’esthétique. Autrement dit, cette signature répond à la question suivante : comment fait-on pour exprimer une idée de la façon la plus explicite et la plus distrayante qui soit ? Car le Portrait n’est ni un grand roman d’aventure, où l’on explorerait des tombeaux oubliés, où la simple mention d’une malédiction antique suffit à faire trembler ; le Portrait n’est pas non plus un article de presse, dont le commandement suprême serait tout entier contenu dans l’information. Ce format doit donc pétiller à chaque ligne, maintenir le lecteur à l’attention du propos, sans jamais tomber dans le convenu. Nous utilisons donc tous les outils stylistiques à notre disposition pour que la lecture soit plaisante. Un but humble, honnête, et plus retors qu’il n’y paraît !

Selon toi, que faut-il pour candidater en tant que portraitiste au sein de la Maison Trafalgar ? 

Avant tout, il faut l’envie de comprendre autrui en profondeur, car le Portrait est un exercice de compréhension avant d’être un exercice de création. Un bon portraitiste ne plaque pas ses préjugés, ses idées, sa propre vision sur son sujet, sur le client ; il est une sorte de narrateur bienveillant – mais jamais complaisant –, qui rend compte de ce qu’il a entendu, perçu, déduit. Il faut également mettre de côté l’orgueil qui a tendance à pousser dans l’ombre de l’écriture : un Portrait est une œuvre collective, un travail d’équipe, et les retouches peuvent s’avérer substantielles pour arriver au résultat attendu ! Personne n’est à l’abri d’un faux pas, et même si l’expérience est évidemment précieuse, chaque nouveau Portrait est – littéralement – une page blanche. Je pense aussi qu’il est nécessaire d’être conscient que faire son métier de l’écriture implique une rigueur professionnelle ; aimer écrire par loisir ne suffit pas. Le rapport que l’on entretient avec l’acte même s’en trouve modifié, ni en bien, ni en mal – mais il s’en trouve modifié. Et paradoxalement, cette rigueur professionnelle ne doit pas étouffer le souffle créatif qui colore chaque Portrait : un portraitiste aime profondément, fondamentalement, et irrémédiablement jouer avec les mots, se lancer des défis, arriver à insérer, à détourner telle expression rebattue. Cette étincelle est primordiale ; il faut avoir cette malice en soi.

Une anecdote liée à un Portrait ?

La fois où ce chef cuisinier est arrivé dans notre Maison pour vivre l’expérience Trafalgar. Il a retiré ses chaussures, et s’est lancé à bâtons rompus dans l’entretien d’extraction ! Un peu déstabilisant de prime abord, mais après tout, pourquoi pas ?