Tribune : L'étroit couloir du temps présent
« Il y a deux sortes de temps
Y a le temps qui attend
Et le temps qui espère. »
Jacques Brel, L’Ostendaise
Les conversations quotidiennes ; les interviews, radiophoniques, télévisées ; les témoignages, les récits ; on ne trouve plus guère d’exceptions : afin de provoquer un effet de « direct », le présent de narration a remplacé l’usage des temps passés. Ce que l’on raconte semble ainsi, ce n’est pas surprenant, plus vivant : car le passé est sépulture de ce qui fut ; on n’y compte plus que des morts ; des morts qui, apparemment, font peur, et auxquels on tente donc, comme à des marionnettes, d’insuffler un soupçon de vie pour les faire moins terrifiants, ou plus intéressants qu’ils ne le sont réellement.
Notre présent est par conséquent surpeuplé. Il accueille, recueille le passé, l’absorbe, se laisse remplir de formes disparues. Il était déjà difficile d’accorder de l’espace et des dimensions à ce lieu si fugace qu’on le soupçonne régulièrement de ne pas exister ; il devient plus délicat encore de comprendre comment un temps si étroit pourrait prendre en charge cette multitude d’éléments l’ayant précédé.
Le présent de narration, effet de style bien connu et que notre époque n’a certes pas inventé, est devenu si prépondérant qu’il se vide sous nos yeux de sa substance ; car l’usage régulier d’un effet spécial a pour conséquence de lui ôter tout caractère exceptionnel et donc, de le dénaturer : il passe en effet ainsi de « spécial » à « normal ». Nous ne savourons plus avec le même délice cette espèce de flash-back qui plaçait directement, devant les yeux de l’imagination, les évènements et les faits datés, puisque désormais le langage ne semble plus relever que d’une seule dimension. Or, pour apprécier qu’un objet soit ramené au premier plan, encore faut-il un arrière-plan, une perspective. C’est pourquoi l’usage parcimonieux du présent me semble plus riche que le fait d’y recourir de façon permanente.
Le futur, dimension incertaine du temps et pour cette raison, la plus mystérieuse, pourrait faire l’objet du même sort que le passé. Le présent de futur proche (« j’arrive dans quelques instants ») tire l’avenir vers l’immédiat ; mais on peut entendre parfois des affirmations telles que « Dans cinq ans je suis à la tête de cette entreprise », qui perturbent fortement la frontière entre futur proche, moyen et long termes.
En tous les cas, la disparition progressive du passé, objet d’une fusion-acquisition au profit du présent, tire probablement tout ou partie de ses origines des procédés journalistiques et historiographiques, friands de narration. Sans doute les métiers purement narratifs eux-mêmes s’en sont-ils faits un relai d’importance : les scénarios s’écrivent au présent et les romans eux-mêmes tendent, de plus en plus souvent, à y recourir. Ainsi baignons-nous désormais, à chaque heure de chaque jour, dans un environnement qui n’est pas sans évoquer l’art naïf, que constituent ces tableaux s’affranchissant des lois de l’optique, art qui fut longtemps – et ne l’est plus – considéré comme mineur. Cet art n’est pas sans charme, loin s’en faut : tout son charme tient, précisément, au décalage qu’il impose par rapport aux autres méthodes de représentation picturale. Il semble assez clair que les arts graphiques, comme la littérature, comme les autres arts, tirent leur richesse de leur diversité, et que celle-ci se trouverait considérablement écornée si l’art naïf prenait le pas sur tous les autres.
Quels critères objectifs pourraient nous servir de pierre de touche pour déterminer, parmi les modifications du langage, celles qu’il faudrait condamner ou célébrer ? Aucune évolution de la langue ne doit, en elle-même, attirer nos foudres, au motif – fallacieux – qu’il s’agit de la préserver du changement, ce qui du reste est aussi peu souhaitable que possible. En revanche, il est peut-être dommageable que l’évolution dont traite la présente Tribune consacre une ablation d’une des possibilités offertes par notre système de conjugaisons, plutôt que la transformation d’un usage, ou l’invention d’un nouveau. Qui peut le plus peut le moins – quand la réciproque, cela est bien connu, n’est pas vraie. La naïveté langagière excessive, par laquelle on s’exprime de toute part dans les médias et, par ricochet, dans la vie quotidienne, risque de simplifier excessivement le langage, en sorte qu’il nous soit de plus en plus difficile de nous exprimer clairement. La seule assistance que nous pourrions donc apporter à la parole – qui, notons-le au passage, ne nous demande rien – consisterait à en protéger la capacité à signifier quelque chose. Le cerveau et la conscience humaine étant éminemment complexes, la pensée étant condition de la parole et la parole, celle de la pensée, sans doute est-il important de bénéficier d’une palette d’expression la plus vaste possible. A cet égard, certaines interviews récentes m’ont semblé relativement incompréhensibles : l’absence de perspective ne relève pas que de l’esthétique : elle perturbe parfois considérablement l’intelligibilité d’une narration. Dans ce cas, on peut douter qu’elle soit le fait d’un choix, et redouter qu’elle ne provienne d’une connaissance lacunaire des temps de la langue française.
Tout ceci participe (ou procède ?) de notre société de l’immédiateté que décrivent certains sociologues ; nous plonge, en tous les cas, dans cet univers surpeuplé que j’évoquais à l’orée de cette Tribune. Nous étoufferons bientôt, si nous n’y prenons garde, dans l’étroit couloir du temps présent, qui n’a peut-être pour charge, finalement, que de séparer l’avenir du passé. Nous sommes collés les uns aux autres dans une dimension unique, qui regroupe jusqu’aux grandes figures ancestrales, jusqu’aux morts et aux évènements les plus insignifiants. Nous sommes tout à chaque instant, tous à chaque instant. Dans l’embrasure de notre couloir se presse un flot de vies minuscules ; une infinité d’Hommes sans épaisseur s’adossent aux murs, s’embrassent, se serrent. Les perspectives s’enfuient à contre-courant de la ligne de fuite d’un tableau renaissant. Certes, tout peut donc s’embourber, par le langage, dans les limons d’un cimetière confus, le cimetière des jours sans fin, des nuits lumineuses et des hivers brûlants ; mais tout, par le langage, peut au contraire s’augmenter de couleurs, de vie et de formes, se parfumer d’avenirs, beaux d’être incertains, et de passés, superbes d’avoir été.
Virgile Deslandre
Expert en art oratoire de la Maison Trafalgar
© Matthew Henry
Expression explicitée : Dire à tes souhaits
Avant que cette expression ne devienne une politesse presque machinale, dans la Grèce antique, l’éternuement signifiait qu’un esprit divin était de passage. Il convenait alors de lui exprimer des souhaits pour s’en assurer la protection, et repousser un possible mauvais sort. Si la formule est aujourd’hui adressée directement à la personne qui éternue, c’est qu’elle trouve une seconde origine dans l’épidémie de peste qui ravagea l’Europe du XIVe siècle. Il fallait se dépêcher de dire une bénédiction pour préserver la santé de celui qui éternue, en espérant que ne se cachait pas là un signe de maladie avant-coureur.
Expression explicitée : Dernier cri
Avant que les télévisions ou les journaux ne diffusent l’actualité en continu, les informations exclusives et autres faits de première importance étaient annoncés par un crieur public, qui arpentait les rues des villes et des villages pour délivrer les nouvelles informations. Des informations qui étaient alors du “dernier cri” !
Le détail qui tue
Si l’entretien d’extraction est toujours l’occasion d’explorer de bout en bout la réalité d’un métier, des menus détails comme un souvenir d’enfance, une habitude du quotidien ou une particularité propre à l’univers de chacun émergent aussi au fil de l’échange. De cette cliente qui piquait des oranges de clous de girofle pour Noël à celui qui s’était créé un objet de décoration à base de râteaux, certaines précisions peuvent s’avérer de forts leviers d’émotion ! Il convient donc de leur trouver la place la plus pertinente au sein du Portrait. Ces anecdotes doivent être remarquées et retenues, sans constituer une fin en soi. Leur portée est d’autant plus grande lorsqu’elles se connectent au récit, révèlent un trait de caractère et singularisent un cheminement. Le Portraitiste s’adonne avec plaisir au jeu d’équilibriste !
Extrait : Baccarat
Écrits couture :
« Réinterprétations des œuvres d’exception Baccarat, les pièces de la collection Haute Couture incarnent le savoir-faire de la Maison autant dans son histoire que dans sa célébration. Qu’elles soient Éclats de Lumière et riches d’ornements ou Reflets Graphiques épurés, chacune de ces réalisations retrace un univers et une époque. (…) Et pour façonner cette collection, la connaissance ancestrale se marie à une étonnante chorégraphie : magiciens du souffle, maîtres de la taille ou prodiges de la gravure, tous savent combiner l’intelligence de la main et de l’œil à celle de l’esprit. »
« Car en préambule de ces jours investis sur leurs arabesques, il y eut des décennies pour affûter un geste. En leur proposant de prendre part à cet héritage, la Maison Baccarat offre à ses artisans le plus bel hommage. Pour que jaillissent ces créations, il fallut convoquer un large répertoire de savoir-faire, des centaines d’esquisses, des torrents de cristal en fusion. Chaque pièce de la collection Haute Couture célèbre cette émotion si chère à la Maison Baccarat : celle de porter au regard toute l’alchimie de la joie. »
Val Solutions. Un cadeau de départ à la hauteur de son fondateur, Didier Trutta.
« Le parcours d’une vie professionnelle peut s’apparenter à une trace laissée dans la neige d’un glacier d’altitude, belle et éphémère. Carole et Yannick ont eu l’idée géniale de provoquer la rencontre avec des gens d’exception – les hauts couturiers du mot de la Maison Trafalgar. Un moment unique qui a fait tomber les barrières ! Un moment de poésie, suspendu à chaque mot qui résonne et déclenche l’émotion. Ce portrait tout en vérité rend honneur à l’aventure qui m’a été donnée de vivre. Le talent de l’équipe : avoir su provoquer cette intensité et rendre ce projet unique. Merci pour tout cela ; c’est pour moi un souvenir qui restera ancré dans mon cœur. » – Didier Trutta, Fondateur.
Chaque départ en retraite est l’occasion d’inscrire la mémoire de l’entreprise – plus encore quand il s’agit de son fondateur. Lorsque Val Solutions, leader dans la prévention et la santé au travail, a confié à la Maison Trafalgar le Portrait de Didier Trutta, nous ne pouvions que relever le défi de revenir sur plus de quarante ans d’entrepreneuriat. De ses débuts sans commune mesure avec son cœur de métier, aux péripéties rocambolesques qui l’ont mené à uEgar, le dernier-né de la suite logicielle Val Solutions ; de sa première association à la transmission de la direction générale, en passant par l’aventure aux côtés du groupe Evolem, nous avons rendu honneur à une trajectoire riche en rebondissements, par un ton qui se veut tantôt sensible, tantôt bondissant. Réalisé comme un cadeau surprise, organisé avec la complicité de ses équipes, ce Portrait fut partagé à l’occasion du séminaire qui a officialisé le départ de Didier. Il est autant une trace laissée avec émotion qu’un remerciement collectif pour tout l’engagement dont il a fait preuve, au fil des années.
« J’attendais ce moment depuis plusieurs années et quel plaisir de faire plaisir en réalisant ce portrait, de susciter tant d’émotions et de graver tant de souvenirs. Je suis admirative de votre plume, de ces instants de vie si bien écrits, ce jardin intérieur savamment dosé. Merci à toute votre équipe. Quel talent, Maison Trafalgar ! » – Carole Atsain, Directrice Communication & Marketing.
Un grand merci à Yannick Jarlaud, Carole Atsain et Didier Trutta pour leur confiance.
Extraits
À l’époque où Didier Trutta était un assistant haut comme trois cartables, les clients de son père artisan-entrepreneur pouvaient entendre, à l’autre bout du combiné, une petite voix flûtée qui posait toutes les questions avant de conclure « c’est bien noté, papa va vous rappeler ». Le gone du 3e arrondissement de Lyon a très tôt tissé sa fibre commerciale, affirmant sa propension à se lancer et à faire, plutôt qu’à hésiter et à se taire.
Si son DUT génie mécanique parachevé dans la productique lui donna toutes les clefs pour appréhender l’informatique avant son essor, le fringant diplômé se fit d’abord « mettre au carré » par l’une des références mondiales des pneumatiques. C’est là qu’il effectua un an au « Service Apprentis ». Un an pour appréhender des métiers qui le firent osciller du costume cravate au bleu de travail ; un an accompagné par des camarades de promo biberonnés au bonhomme Bibendum depuis leur tendre enfance.
Pour l’heure, sa carte de France sur les genoux, ses vingt-cinq ans à peine soufflés, Didier filait à toute berzingue d’un prospect à l’autre dans sa camionnette. Ses programmes de gestion de chantier dépassèrent tout de même les frontières du pays, au point de se frayer un chemin en Corée du Sud. Mais c’est par un crochet improbable qu’il emmena son activité dans le domaine du médical. En allant saluer l’ami d’un de ses stagiaires, il échangera ses coordonnées avec un médecin du travail, un évènement qui refondra l’entreprise dans l’ensemble de son attirail.
Ainsi qu’il a gravi les sommets les plus hauts des Alpes, le petit-fils de bûcheron qui a foulé le Kilimandjaro, et tant d’autres sommets de la Cordillère Blanche, est prêt à retrouver ce qu’il avait malgré lui laissé de côté. Si l’on n’entend pas sa fugue sur quelque pente, l’une des sonates qu’il jouera à la trompette ou au saxophone, c’est que Didier se trouvera dans un tout autre type de refuge. Il suffit de « siffler le rassemblement » pour que la tribu familiale accoure des quatre coins de France ou du monde, vers cette « cabane en Savoie » dont les plans ont été savamment fignolés. À moins que, l’espace d’une occasion, le fondateur de Val Solutions ne soit revenu à ses premières amours entrepreneuriales en s’impliquant auprès d’une start-up. Au plus proche de cette philosophie que Didier n’a jamais cessé de conduire – « quand on ne trouve pas ce qu’on veut, c’est qu’il faut construire. »
Artisans Baccarat. La célèbre Manufacture de cristal choisit la Maison Trafalgar !
Pour rendre un vibrant hommage à ses artisans, présenter la richesse de ses savoir-faire et susciter quelques vocations, Baccarat a convié les équipes de la Maison Trafalgar au sein de sa manufacture, en Lorraine. Talents passés maîtres dans l’alchimie de la joie, Meilleurs Ouvriers de France ou encore Chevaliers des Arts et des Lettres, qu’ils soient graveurs, doreuses, souffleurs, tailleuses, dessinateurs, dix artisans nous ont raconté avec bonheur leur métier, leur parcours et leur technicité, en se livrant sur l’habileté de leur tour de main. Une galerie de témoignages sincères et émouvants, agrémentés de plusieurs photographies ; une collaboration qui a déjà appelé d’autres réalisations. Car l’écriture de Portraits finement ciselés est à même de présenter les créations issues de collections d’exception. Si l’une célèbre le cristal et l’autre les mots, il va sans dire que la Maison Baccarat et la Maison Trafalgar présentent ces mêmes points de convergence : l’exigence et l’amour du Beau.
“Chère Maison Trafalgar, chers tous,
C’est très beau, et pour la Maison Baccarat, ce sont des témoignages très précieux. Je suis très contente de savoir que nos artisans aiment également leur portrait. Merci infiniment à vous tous pour ce formidable travail !”