Extraits : Cclair

Portrait de dirigeant
Des reliefs de Bolivie aux rives du Rhône sur lesquelles il vit, Jose Sallés a cheminé entre les projections d’ingénieur et les besoins des arboriculteurs ; parmi les rêves de grandeur qui l’ont longtemps bercé, il s’est fait un devoir de chahuter les standards. Avant de concevoir la technologie Cclair, qui aide à mieux planifier le pilotage des vergers, le fondateur et dirigeant d’Agriconnect dut donc contrecarrer la logique des probabilités et oser un futur entrepreneurial de l’autre côté du globe. Quand la filière latino-américaine de l’INSA repéra son potentiel précoce et lui proposa de se former à Lyon, ni le manque de moyens ni son inaptitude à parler la langue de Molière ne freinèrent son départ en dehors des frontières.
Après un passage sur les bancs de HEC, Jose affirma sa fibre d’entrepreneur et élabora ses premiers « algos » voués à tirer de précieuses informations à partir de simples photos. S’il signa plusieurs réussites auprès du secteur ferroviaire et des télécoms, ses missions de prospection le guidèrent également vers le marché de la pomme. Une conférence sur les drones et l’agriculture, une rencontre informelle avec une représentante de Duransia, la plus grande coopérative du sud-est de la France, et voilà que Jose s’attela à un défi irréalisable, initialement jeté comme une boutade – « savez-vous compter les fleurs ? »
Portrait personnifié 
Si certains jaugent l’arbre à ses fruits, je l’apprécie surtout pour ses fleurs, que je me plais à compter pendant des heures. Quand le mois d’avril pointe le bout de son nez et que les pommiers bourgeonnent, je sillonne les rangs pendant de longues balades ; là, perché à bonne hauteur, mon regard traverse les ramures et photographie le feuillu sous toutes ses coutures. C’est peu dire que rien ne m’échappe : le monde végétal est pour moi un jeu de luminosité et de saturation, les arbres me confient volontiers les secrets de leur floraison.
Mes équipes, qui tiennent la simplicité pour sophistication suprême, m’ont légué le meilleur d’elles-mêmes. Ainsi, nul besoin de maîtriser les théorèmes pour que mon intelligence s’active : embarqué mais autonome, je roule pour votre pomme en une poignée de manipulations intuitives. Je me configure facilement sur ma robuste tablette ; ergonomique, je suis d’attaque en quelques clics. Quant à mon armature, un simple tour de clef la fixe sur le véhicule ; qu’il soit tracteur, quad ou 4X4, je donne aux champêtres carrosses comme un air de tricératops. Inutile de me démonter après usage, j’ai beau tutoyer les branchages, je sais aussi me faire discret, me faire tout petit : il suffit de me replier pour me protéger des orages et des intempéries.
Il se dit qu’une bonne tête – ou un bon boîtier –, vaut mieux que cent bras : ma fiabilité a été éprouvée autant que mon efficacité. Mais il me fallut œuvrer d’arrache-pied, en voir des vertes et des pas mûres pour en arriver là. Lors de mon prototypage, mon apprentissage de la pomme d’api ne se fit pas sans achopper au passage sur de petits pépins. Je me souviens de ces nuits passées en plein air, de ces myriades de clichés que Jose Sallés, mon concepteur, a pris à la main, de ces heures de calibrage et de tâtonnements qui ont peaufiné mon perfectionnement. Jamais à en démordre, mes développeurs ont vu défiler des bobines de fil à retordre. Aujourd’hui, j’incline peut-être pour les pink lady, les galas, et tant d’autres variétés, hormis les pommes d’amour, il n’est pas de fruit qui me soit défendu. Vergers de poires, de kiwis, d’abricots, de noix ou encore de cerises, il se pourrait bien qu’à l’avenir, j’y déploie également toute mon expertise.


Tribune : Pourquoi une maison ?

« C’est une chance d’avoir une maison. Ma maison nous est indispensable. Quand je sors, ma maison me suit, de loin. Même en mer, je la vois. C’est elle, ma propriétaire. Et si je suis courtois, c’est à cause d’elle. Quand j’ouvre une porte, je la fais passer devant moi, je m’efface. »

— Pierre Dumayet, Brossard et moi


Naf-Naf, Nif-Nif et Nouf-Nouf n’ont pas eu à s’embarrasser d’une telle question. La maman des trois petits cochons avait été catégorique : trop pauvre pour entretenir plus longtemps ses enfants, elle les avait enjoints de quitter le domicile familial et de construire leur propre maison, en prenant soin que celle-ci fût assez solide pour les préserver des velléités carnassières du Loup.
Pour les besoins de la narration, il importait que chacun de ces sympathiques animaux construisît, chacun, son habitat, et que chacun de ces habitats soit structurellement distinct des deux autres : on ne saurait expliquer autrement, sauf à faire l’hypothèse d’une mauvaise entente entre les trois frères, qu’ils n’aient pas choisi de mettre leurs efforts en commun pour ériger leur domicile. Or, cette hypothèse ne tient pas, puisque le premier de ces quadrupèdes trouva refuge, aussitôt sa maison de paille soufflée par le Loup, chez son frère propriétaire d’une maison en bois, laquelle baraque fut tout aussi bien détruite par le même procédé, et que les deux rescapés échouèrent chez l’heureux bâtisseur dont la demeure était de briques conçue, et qui les recueillit volontiers.

À l’heure où l’écologie invite les architectes à se tourner de nouveau vers le bois et la paille pour penser des édifices plus durables, ce conte de notre enfance paraît un éloge quelque peu rétrograde à la méthode de bâti du mieux inspiré des trois petits cochons. Sans doute peut-on et doit-on interpréter différemment cette fable. On en conclurait en premier lieu qu’ils auraient mieux fait de rester unis et de continuer à vivre ensemble, comme ils y sont contraints, in fine, par les différentes tentatives du Loup de les dévorer. En second lieu, qu’on construit une maison pour que celle-ci soit solide.
 
Il fallait au moins cette solidité pour compenser la fragilité qu’évoque le nom Trafalgar, épisode tragique de l’Histoire de la flotte franco-espagnole et, sans doute, une des plus grandes défaites militaires françaises. Il fallait également parier sur la robustesse de ses murs, afin d’offrir à ses membres un espace créatif et protégé. Car, si certains rédacteurs tirent très bien leur épingle du jeu, nombre d’entre eux logent dans des cabanes d’anachorètes, eu égard auxquelles le puissant souffle des contraintes financières peut se changer à tout instant en Loup hargneux. Ces grains de sable esseulés sur le littoral des mots font l’aubaine des aquilons et autres tempêtes : une Maison nous protège de ces cataclysmes.

Édifier une Maison, c’est aussi, à l’instar de la fondation d’une famille, se prévaloir d’une histoire particulière et d’une complicité entre ses membres, qui s’appuie, pour ce qui nous concerne, sur la croyance forte et sincère que nous avons dans le bien-fondé de notre mission, dans le savoir-faire propre à la Maison Trafalgar ; dans notre signature, donc. Nos comités de lecture, par lesquels tous nos écrits doivent impérativement passer, rassemblent tout ou partie des membres de la Maison, afin que chacun puisse corriger, perfectionner, sublimer son travail – ce qui présuppose beaucoup de bienveillance mutuelle, et d’humilité : car une signature ne s’arrache pas, ne se vole pas, ne s’imite pas ; elle se construit chaque jour par un attachement de chacun d’entre nous à la pérennité des fondations et de la charpente de Trafalgar.

Le métier de portraitiste requiert beaucoup de calme et de concentration. C’est, avant tout, un métier de création. Écrire le Portrait d’un dirigeant, d’une dirigeante, d’associés, de collaborateurs, d’une entreprise, d’une marque, d’un lieu… toute écriture de Portrait ne peut se faire que dans un certain silence, pareil au silence de ces maisons de campagne où chacun peut se retrancher dans un imaginaire qui lui appartient. La Maison Trafalgar offre ce séjour à durée indéterminée, quand les indépendants peuvent, du jour au lendemain, ne plus être appelés pour quelque mission que ce soit, et même se voir retirer celles qu’on avait promis de leur confier. Et parce que l’image de cette demeure nous convient pleinement, vous sentirez, lorsque vous pousserez la porte de notre Maison, ces parfums de thé et d’ambre qui parlent de douceur de vivre et d’âtre crépitant.

Car la Maison Trafalgar aime à recevoir. Nous privilégierons sempiternellement l’accueil en nos murs plutôt qu’une rencontre brève dans un café, au son des trains qui fuient. Une telle rencontre, furtive, fait s’écrier au poète au sujet d’une passante qu’il ne la reverra sans doute plus que dans l’éternité, tandis que nous aimons vous inviter à suspendre le temps, pour qu’il cesse momentanément de vous piquer de son aiguillon. Tout passe, c’est un fait ; mais on peut passer sans s’arrêter, ou passer… un moment : un moment ensemble. Dans notre Maison, ceux qui viennent nous rencontrer pour la première fois ou vivre l’expérience de l’entretien d’extraction, ont eux aussi besoin d’arrêter durant quelques heures le cours des événements, et de considérer depuis la rive l’écoulement des jours.

En ligne, déjà, vous aurez pu arpenter nos pièces qui sont autant de chambres d’humeurs et d’inspirations. Notre Maison est à la fois coupée du monde en ce qu’il a de trop véloce, et tournée vers vous, construite pour vous. Nous nous donnons pour mission de faire en sorte qu’au bien-être des portraitistes Trafalgar réponde le vôtre. Foin des grandes Maisons qui, de l’être trop, ont dilué leur âme dans d’infinis couloirs, foin des Maisons de paille qu’un vent balaye, que le feu consume, la nôtre offre à nos portraitistes la possibilité d’une île, sinon paradisiaque, du moins paisible, une île que l’expérience des confinements récents aura fait déserter, au profit d’un acquis d’expérience : ceux qui ont pris goût au travail à domicile ne sont pas tenus de venir chaque jour. Nous comprenons très bien qu’il puisse être confortable, agréable de travailler depuis chez soi. On ne rallie pas de force une maison de campagne, on vient y retrouver ceux avec qui l’on a décidé de se réunir. En sorte qu’au sujet de Trafalgar, à l’heure du télétravail, entre travailler à la maison ou travailler à la Maison, la différence est à la fois majuscule… et infime.
 

Bérengère Wolff & Marion Derouvroy

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Expression explicitée : Au temps pour moi

Cette expression permettait autrefois à un soldat d’indiquer qu’il n’était pas dans le tempo, très réglé, d’une marche militaire. L’injonction l’enjoint à reprendre le mouvement au premier temps, et c’est pour cela qu’elle est encore utilisée pour admettre une erreur, au sens large, et indiquer que l’on va reprendre le problème à son origine et reconsidérer la solution.


Certains comptent les chiffres, nous comptons les syllabes

On me l’aurait soufflé, je ne l’aurais pas cru

Qu’un jour, dans mon quotidien, je sois convié

À compter les syllabes, niveler le surplus

De la cadence de mes pieds.


Expression explicitée : Se tenir à carreau

Cette expression trouve son explication dans le jargon des forces de l’ordre pour lesquelles « le carreau » fait référence au domicile. Une explication peu étonnante lorsque l’on sait que le verbe « se carrer » signifiait « se mettre à l’abri ». Au XIXe siècle, quand les agents de police disaient d’un individu surveillé qu’il « se tenait à carreau », ils voulaient dire que leur cible se terrait tranquillement chez elle, afin de se faire oublier.

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