Extraits : LE NINKASI

Portrait de dirigeant, Christophe
Car avant de pouvoir régaler les gourmands de tous bords et satisfaire les mélomanes en tous genres, Christophe a dû plonger tête la première sans préjuger lequel, de l’atterrissage fructueux ou désastreux, aurait le dessus. Lui, le bon élève visant l’ascension sans renier ses racines populaires, lui l’aîné de sept enfants portant sur ses épaules les espoirs d’un avenir étincelant, lui qui, tout juste majeur, lorgnait déjà un quotidien rythmé par les prises de risque maîtrisées, lui enfin, qui refusera d’écouter ses proches, et honorera son entêtement caractérisé en transformant ce faux départ en décollage précipité.
Cet inconditionnel de l’immédiateté n’attendra donc pas pour développer en France une micro-brasserie où les flots de bières répondront au flow musical. À peine quittés les bancs de l’école, Kurt lui souffle à l’oreille le concept de brewpub, un mot qui scelle leurs promesses et déferre définitivement ses ambitions de faire. Dans la tradition du rêve américain, le duo démarre le leur dans un garage, y installent un système de brassage et étoffent leurs recettes. L’enthousiasme incandescent des deux comparses se répand, gonfle les cœurs et enflamme les envies d’indéfectibles supporters.
Mais ces années sans profit ont aussi vu la création laborieuse du Kao et le départ brutal de Kurt, obligeant le PDG à sortir les rames quand les comptes sonnaient l’alarme, et à essuyer les larmes quand frappait le vague à l’âme. Malgré les affres des affaires, rien ne saurait détourner de sa voie cet entrepreneur certain que l’inconfort, dans lequel le met parfois sa position, reste largement compensé par la joie de tenir le guidon.
Portrait de collaborateur, David
Quand il n’est pas dans son usine à remplir les fûts, David épate la galerie par quelques numéros de magie bien affûtés. Un penchant pour l’illusion éveillé par la frustration de son esprit rationnel. Pas étonnant que cet adepte des tours de passe-passe, dont les chutes vous écarquillent les yeux et vous décrochent la mâchoire, se soit mis en tête de bientôt transcender le sésame grillé en une bière audacieuse. Grand cru au parfum enivrant ou millésime au bouquet mémorable, qui saurait prédire ce que dévoilera le prochain abracadabra du magicien ?
Portrait de collaborateur, Christophe
L’alchimie avec son dirigeant a ajouté encore de l’eau au moulin de Christophe qui a plié bagage, voilà deux ans, pour s’installer à Lyon et rejoindre le Ninkasi. Transmettre aux publics des treize établissements cet état de grâce qui l’a frappé pour la première fois dans l’un de ces lieux tenus secrets où les corps, à l’apogée de la transe, fendaient d’épais effets de fumées et de lasers, est bien le but qu’il poursuit. Au milieu de cette osmose collective et auditive, Christophe vivait pour la première fois un rave éveillé.
Extraits : LE CIEL PAR-DESSUS LE TOIT

Portrait de dirigeante, Estelle
Au croisement des champs du paysage, de l’architecture et de l’urbanisme, Estelle pourrait incarner l’adage selon lequel choisir, c’est renoncer. Plutôt que de se contenter d’arrondir les angles des espaces confinés, ses chemins de traverses l’ont amenée à pousser les murs pour se créer une pièce à sa mesure. Chez elle, les trois facettes des échelles de projets aiment montrer le succès de leur cohabitation et souligner la beauté d’un plan de carrière construit à l’instinct, presque à main levée. Si Estelle a le verbe délicat, le phrasé mesuré, la manie de délaisser le sens strict pour le sens figuré, la fragilité sait aussi tirer sa révérence pour laisser place aux gestes répétés d’une professionnelle à la tête dure et aux idées carrées. Celle-là même qui a su capitaliser chacune des expériences passées et convaincre un père vétérinaire, une sœur pharmacienne et un frère médecin, de la laisser prendre soin des paysages ordinaires.
Fleur bleue, éponge, guimauve, pour décrire ce cœur d’artichaut, dans son entourage, chacun y va de sa métaphore. Elle est l’optimisme qui marque, l’enthousiasme qui peut déranger, la capacité à s’émerveiller du passage d’un pivert ou du moindre rayon de soleil. Mais loin de l’épanchement béat, Estelle partage les contours de ces romantiques qui font d’un rien leur muse. Tout ce qu’elle vit, voit, lit, écoute, visite, ou ingurgite, alimente son catalogue. Philosophie, politique, botanique, cette professionnelle est un aimant qui ne peut s’empêcher d’aimer.
Extraits : VINCI

Portrait de collaborateur, Jacques
Si les plus anciens se souviennent de Jacques le chef de chantier, la plupart se rappelle surtout avoir tapé à la porte de M. Basile, directeur régional puis délégué de Campenon Bernard. Pourtant, plutôt que d’ériger des ouvrages d’art en précontrainte, ce dessinateur aguerri s’imaginait faire fuser les fusains sans astreinte.
De cette relation galvanisante avec son mentor, Jacques sut tirer la force nécessaire pour affronter un baptême du feu des plus brûlants : le parking de la Part-Dieu. La Part-Dieu, c’était le rythme éreintant des trois-huit et la gestion « de deux-cent gars » pendant des journées interminables. C’était les problèmes de dernière minute et les ennuis dès la première heure. Les signes d’une dépression pansés par un repas aux Halles de Lyon avec Perillat. Les grèves tempétueuses, les colères à tempérer et le repaire d’une motivation à bout de nerfs. La Part-Dieu, c’était le chantier de tous les états d’âme ! Mais c’est aussi celui que Jacques évoque désormais avec fierté et dont il peut dire : « J’y étais ».
Portrait de collaborateur, Habib
Certes, ce gardien zélé a fait de ce site, un monde à part dans la galaxie Campenon. Certes, il est de ceux qui savent oublier les tours de cadran quand le travail l’exige. Oui, Habib n’a pas volé ce surnom de « fils du patron », attribué par les copains comme pour railler son dévouement ; mais cette abnégation était aussi celle d’un locataire soigneux prêt à élire domicile sur place. Un mobil-home paumé au beau milieu de l’Isère, un bureau devenu maison, bordé par le goudron de l’A43 et les jeunes pousses d’herbes aromatiques. Car Habib fit de ce foyer un improbable emblème de l’esprit d’entreprendre qui a cours chez Campenon, en cultivant un jardin là où peu de mains vertes se seraient aventurées. Qui pourrait ainsi se targuer d’avoir planté pêchers et figuiers en pleine zone industrielle, ou se prévaloir d’avoir embelli barrières de métal et dalles de béton par quelques fleurs ramenées de Tunisie ? Ici, c’était chez lui.