Bérengère et Marion de la Maison Trafalgar, vivre de sa plume en écrivant le parcours des autres

Vous vivez de l’écriture à votre manière, et avez réussi à construire une belle entreprise autour de l’écriture, pouvez-vous commencer par vous présenter et nous expliquer vos rôles respectifs dans la Maison Trafalgar ?

Marion : J’ai un début de parcours vraiment littéraire. BAC L, Classes préparatoires hypokhâgne, un Master de Lettres Modernes, et un double Master Lettres-Commerce à l’iaelyon. Un Master spé entrepreneuriat aussi, durant lequel j’ai rencontré Bérengère, par le biais du média que j’avais monté à l’époque. Dans la Maison Trafalgar, mon rôle est de garantir la qualité de la signature. Depuis que je suis sortie de la production en tant que Portraitiste, nous formons avec Bérengère une seule et même commerciale à deux têtes, mais j’assure également la partie recrutement, les comités de rédaction menés en présence de tous nos Portraitistes, tout en me chargeant de ce qui touche à la stratégie, à la communication… Avec Bérengère, nous formons un binôme sur quasiment tous les aspects, ce qui est assez rare pour des associées ! 

Bérengère : De mon côté, j’ai fait un DUT information-communication, puis l’EFAP Com’ à Paris, donc j’ai plutôt une vision de la communication chez l’annonceur, en entreprise. J’ai créé une première entreprise avant de rencontrer Marion, puis de rejoindre l’aventure Trafalgar Magazine, qu’elle démarrait à l’époque. Aujourd’hui, mes casquettes sont multiples. Comme dans beaucoup de jeunes entreprises, j’ai à la fois la main sur le graphisme, la communication, la stratégie, les finances, la comptabilité, les chiffres de la Maison d’écriture – alors que je n’avais pas du tout d’appétence pour les chiffres avant d’y être ! 

Comment est venue l’idée de créer cette Maison ?

 Marion : Ce sont les clients qui ont eu l’idée ! J’ai eu l’idée du concept de portraits à l’époque du média « Trafalgar Magazine » (que j’avais lancé pendant mon double Master, et qui se consacrait aux portraits de jeunes audacieux lyonnais de moins de 30 ans), mais j’ignorais que tout cela allait nous mener à monter une société spécialisée dans le Portrait écrit.

Bérengère : Le média était en fait déjà géré comme une petite entreprise, mais tous les membres bénévoles qui étaient engagés poursuivaient leurs études ou une activité professionnelle en parallèle : nous savions donc qu’il allait avoir une fin. Pour autant, nous avons sorti Le livre de l’Audace, nous nous sommes très vite investies sur le tissu entrepreneurial lyonnais, nous étions invitées à remettre des prix lors de concours entrepreneuriaux, à témoigner lors de différents évènements, alors que nous n’avions pas encore développé notre entreprise. 

Marion : Et coup de théâtre ! En plein dans mes études, je me retrouve à crouler sous les demandes de devis, car si nous étions entourées de graphistes, de photographes, j’étais encore à l’époque la seule plume. J’ai d’abord refusé de répondre aux sollicitations de potentiels « clients », pensant qu’il était question de publireportage, et qu’ils souhaitaient paraître dans les pages du média. Au bout de la sixième, septième demande, je comprends finalement qu’on ne vient pas me trouver pour de la visibilité, mais pour commander le savoir-faire portrait qui était déjà, à l’époque, hyper ciselé. Je fuyais à tout prix la vie de Freelance, et je savais qu’il y a un concept, une niche à développer, qu’il fallait que je creuse. Donc je me suis très vite inscrite à l’accélérateur Boost in Lyon, j’ai décidé de faire mon stage de fin de Master 2 dans l’incubateur Manufactory, afin de saisir si tous ceux qui ont frappé à la porte du « baby Trafalgar » sont le signe d’un début de marché, ou si cela relève d’un simple coup de chance. La Maison Trafalgar est donc née du besoin ; c’est à la suite des sollicitations que nous avons développé la stratégie, au fur et à mesure des attentes de nos clients. À l’origine, il n’y avait pas d’offres, il n’y avait rien, sauf des clients ! Donc nous avons pu nous salarier au bout de 2 mois de création. Parallèlement, nous avons fermé et offert le webzine à une étudiante en lettres. Je savais exactement où je voulais aller, mais je tombais de Charybde en Scylla les premiers mois – j’étais une calamité en termes de gestion ! 

Bérengère : Je regardais Marion se lancer du coin de l’œil, et je me suis dit : « je crois qu’il faut qu’on y aille ensemble », et on ne s’est plus jamais quitté ! On avait la même minutie, et on a tout de suite, et toujours, partagé la même vision. Celle de bâtir la première Maison de Portraits en France, cette belle Maison d’écriture Haute Couture spécialisée dans le Portrait cousu main. Dès le début, nous avons également affirmé cette volonté d’internaliser les talents, d’entreprendre pour créer de l’emploi, ce qui est très rare sur le marché de l’écriture. Sur la fiche de paye des membres de notre équipe, il est réellement marqué « Portraitiste ». Le luxe, c’est aussi celui de vivre de l’écriture. 

Vous avez un style, un ton, un univers qui vous est vraiment propre, pouvez-vous m’expliquer la manière dont vous y avez réfléchi ? Comment formalise-t-on ce  positionnement ?  

Bérengère : Nous étions un peu des ovnis au lancement, car n’avions aucun business model à dupliquer. Nous avons donc suivi notre instinct, et encore une fois, ce sont nos clients qui nous ont permis de nous affirmer, de mettre fin à notre site coloré, d’oser un positionnement très clair et strict, en allant jusqu’à refuser certains clients pour que notre signature ne soit pas négativement impactée.  

Marion : Nous pouvons établir toutes les stratégies que nous voulons, la signature littéraire de la Maison Trafalgar ne vaut rien sans les talents qui tiennent la plume. C’est ce que nous avons tous mis en commun qui fait la richesse textuelle de la Maison. Si un de nos Portraitistes s’en va, la signature sera forcément impactée. Elle n’est pas assez pensée sur le plan stratégique pour ne pas dépendre de ceux qui en sont salariés, et c’est tant mieux. Même si je suis sensible à la syntaxe, à l’émotion, aux images, à la musicalité et que je peux rester une heure sur une phrase tant que je ne l’entends pas parfaitement sonner, il était au début très difficile pour moi de former un collaborateur à une signature. Qui est-on pour cela ? L’idée n’était pas de demander aux nouveaux arrivants de « faire comme moi », mais de parvenir, ensemble, à unifier le style de la Maison, tout en assumant des écritures singulières, et différentes. Maxime est mon traumatisme ! Il est entré chez nous en tant que correcteur, à une époque où je trouvais qu’on commençait à être un peu trop flattés au niveau des retours de ceux qui nous donnaient un avis avant la livraison client. Quand Maxime a commencé à nous relire, il a mis un grand coup dedans ! J’ai appelé Bérengère en pleurant, et je lui ai dit : « il faut qu’on l’embauche demain » ! Il a apporté à la Maison, à ses portraits, un regard scientifique, la bonne dose, la bonne composition. L’autre problématique qui se posait, c’est que plus tu as de clients, plus ton offre augmente en valeur, plus tu crois que la signature textuelle de la Maison se doit d’évoluer encore et encore, alors que les clients viennent pour celle déjà est en place ! D’ailleurs, ce qui est appréciable, c’est que chacun d’eux, en signant chez nous, comprend que ce n’est pas à nos Portraitistes de se contorsionner pour entrer dans leur signature déjà en place, mais à eux de faire l’expérience d’entrer dans la nôtre et de se lire. 

Bérengère : C’est là que le regard collectif est important et que l’on ressent encore plus la richesse de la signature de la Maison, car une fois qu’un Portraitiste termine un écrit, il est relu par tous nos membres, et passe en comité. J’y ajoute également mon expertise en connectant l’écrit et la photographie. Sur un même portrait, tous les membres de l’équipe interviennent. 

Vous recherchez des plumes singulières qui vont enrichir la signature de la Maison, quels sont vos critères de recrutement ? 

Marion : Chaque fois que nous recrutons, nous cherchons une nouvelle plume, mais aussi une nouvelle personnalité. Benjamin venait du rap, il était le roi de la punch line, il était plutôt mauvais élève par rapport à Maxime et moi, il avait une écriture plus lâchée. Il a mis beaucoup de lui dans la signature de la Maison. Maxime, c’est la plume du savoir-faire, il a beaucoup de vocabulaire, il est dans le détail. Nous pourrions tous être sur le même canapé, devant la même personne, nous n’allons ni ressentir, ni écrire le même portrait. Puis c’est vrai que nous nous influençons positivement : nous avons tous entre 27 et 33 ans, donc on n’est pas fini ! Dans nos recrutements, ce côté « full instinct » peut sembler pas travaillé, et pourtant il y a quand même d’importants critères et une forte culture d’entreprise chez Trafalgar. Comme j’avais connu les classes préparatoires littéraires, j’étais persuadée, à la création, qu’on allait surtout recruter en sortie de Khâgnes, mais c’est faux. Je suis convaincue que ces formations sont remplies de gens qui écrivent très bien, et je n’ai pas envie de dire qu’il y a un style d’écriture en entreprise, parce que c’est ce contre quoi on se bat… mais disons qu’il y a ceux qui ont envie d’écrire pour leur bonheur, leur besoin, même si cela peut être voué à rester dans un tiroir, et ceux qui se disent : « à quoi bon écrire si c’est pour que personne ne mette les yeux dessus ? » Les puristes pourraient se dire qu’être Portraitiste chez Trafalgar, c’est être écrivain d’entreprise, répondre à des commandes, vendre son âme, alors que c’est une intelligence de se donner le challenge d’embarquer un client, une entreprise, dans ton écriture personnelle, avec ton style littéraire. Selon moi, quelqu’un qui écrit bien, c’est avant tout quelqu’un qui aura l’intelligence, non pas de s’adapter, mais de relever le challenge. On a même eu un client qui ne se sentait pas capable de se confier à un Portraitiste masculin ; Benjamin s’est dit « ah oui, c’est ce qu’on va voir ». Une bonne plume, c’est d’abord un bon cœur. Des personnes surempathiques, j’ose même le mot « hypersensible », même si la sensibilité est parfois mal vue dans l’entreprise. Personnellement, si je n’avais pas trouvé les ficelles qui me permettaient d’être heureuse avec Trafalgar, je pense que j’aurais été inemployable. Et j’en ai encore peur aujourd’hui, de perdre Trafalgar, car je ne sais pas où je pourrais me sentir bien, et libre d’exprimer mon hypersensibilité. Et puis un bon Portraitiste, c’est aussi quelqu’un de minutieux, capable de passer une heure sur sa phrase, sinon, son bonheur ne sera pas chez Trafalgar. Nous recevons beaucoup de candidatures spontanées, nous les traitons toutes, nous testons ceux et celles qui retiennent notre attention, mais nous savons tout de suite, en 4 lignes, si ça va le faire ou non, et cela, on ne saurait pas l’exprimer. Nous avons reçu de très jeunes candidats, un Monsieur de plus de 60 ans, des profils venant d’univers très différents, avec des styles très différents, et nous n’avons jamais fermé la porte ! L’un d’eux a postulé avec une longue lettre manuscrite, c’était dément ! Maxime s’est quand même fait refuser un poste sur le motif qu’il écrivait « trop bien », de mon côté, j’étais était « trop littéraire » pour être retenue à mon concours d’édition, Benjamin a écumé les petits boulots qui n’avaient rien à voir avec l’écriture, avant d’écouter sa femme qui lui disait qu’il avait une vraie plume. Mais on n’est pas non plus fermés aux prix Goncourt ! 

Bérengère : Benjamin a repris un jour l’expression de Kerry James, en disant que la Maison Trafalgar, c’était « la pertinence de l’impertinence » ! Il faut avoir envie de surprendre dans ses lignes, de contrer ce qui a toujours été dit, avoir envie de bousculer !

Entre le moment où vous signez le client et livrez le portrait, quelles sont les étapes ? Comment avez-vous réfléchi à l’expérience du portrait ? 

Bérengère : À partir du moment où le client signe avec notre Maison, il se laisse guider. Durant l’entretien préliminaire, qui se veut pédagogique, nous faisons tomber tous les a priori, toutes les barrières. Nous préparons ensuite l’entretien d’extraction sur-mesure et la rencontre physique. C’est à cet instant que nous pouvons faire appel à notre pianiste pour composer pendant l’entretien. Non pas pour ajouter des fioritures, mais parce que nos entretiens sont souvent emplis d’émotions. Nos clients n’ont pas l’habitude de s’arrêter 4h, de disposer d’un espace comme celui-ci dans leur agenda, alors que leur histoire vaut le coup de prendre ce temps. Nous laissons ensuite le Portraitiste écrire librement, pendant un mois, avant se réunir pour le comité. Pendant cette période de rédaction, j’interviens sur la partie image, si l’option photographie a été ajoutée au portrait écrit. Chez Trafalgar, nous sommes très fidèles à nos photographes depuis le début de l’aventure ; nous travaillons, par exemple, avec un talentueux photographe spécialisé dans un noir et blanc qu’il a développé pour nous, et avec une photographe russe qui ne travaille qu’à l’argentique.

Marion : Quand j’étais encore Portraitiste pour la Maison, j’avais un stress : c’est que toute la réussite du portrait et la satisfaction client dépendent uniquement de la plume. Donc l’idée de la pianiste, de l’atmosphère de la Maison, des différentes étapes d’entretien, c’est une manière de rappeler au Portraitiste qu’il n’est pas le seul à prendre en charge l’expérience. Cela marche aussi très bien avec notre clientèle de particuliers. Nous ne les démarchons pas, mais nous accueillons volontiers ceux qui veulent offrir un portrait à un proche. Parfois, tu fais fausse route, tu penses qu’il faut encore rajouter quelque chose pour soigner l’expérience, mais il ne faut pas polluer l’entretien, et surtout, ne pas avoir peur que ce moment soit simple. Beaucoup de nos clients viennent chercher la simplicité du beau moment ! Le reste, c’est de la magie ! Certains dirigeants se sentent tellement bien chez nous qu’ils vont jusqu’à enlever leurs chaussures !

Vos clients se livrent pas mal en entretien, est-ce déjà arrivé qu’un client soit fermé, que vous ayez du mal à creuser ? 

Bérengère : Un seul raté en 5 ans, mais c’était un peu une erreur de casting… maintenant, nos clients nous ressemblent ! Nous avons toujours eu pas mal de demandes entrantes, mais à un moment, nous avons eu l’impression de devenir des artisans victimes de la demande. Nous sommes donc parties à la rencontre de ceux pour lesquels nous voulions écrire. 

Marion : Tu as beau tout prévoir, tout préparer, tout réfléchir, si en face c’est froid, c’est difficile. Comme c’était une grande crainte quand j’étais Portaitiste, ma prise de recul et ma sortie de la production m’ont aussi permis de penser à tout ce qui pouvait être mis en place pour éviter les malaises ou les mauvaises surprises. Aujourd’hui, nous signons toujours en direct avec le client. Et puis il y a cette phrase qui nous agace, et heureusement, nous l’entendons de moins en moins : « ah, mais, c’est pour ceux qui ont de l’ego ». Mais heureusement, qu’on a de l’ego ! Pour autant, nous ne sommes pas là pour cirer les pompes des dirigeants ou de leurs collaborateurs.

Où est-ce que vous voulez emmener la Maison Trafalgar ? Êtes-vous attachées à ce rôle clé porté par chacun d’entre vous ? Souhaitez-vous passer à l’échelle ?

Marion : Nous répondons déjà à des commandes en anglais, et nous observons les besoins qui se trouvent dans d’autres pays, soit pour des clients étrangers qui ont une clientèle française, soit pour des clients français qui ont aussi besoin du portrait dans d’autres langues. Ce serait génial que demain, le Portrait Trafalgar soit inscrit dans la culture française, qu’on ait envie de goûter une bonne baguette comme de goûter le savoir-faire français à travers un portrait. Nous savons que notre concept peut se décliner, passer à l’échelle, et nous y travaillons, mais nous ne voulons pas devenir l’Amazon du portrait. Nous avons besoin de rester proches des membres de notre équipe et avons déjà parlé avec Bérengère des fondamentaux auxquels on tenait, comme le fait de conserver le siège de la Maison à Lyon. Depuis la fin du confinement, beaucoup d’entreprises rendent leurs locaux, et nous, nous nous installons pile à ce moment-là, dans la Maison de nos rêves ! Mais cela nous permet de nous voir tout le temps, de déjeuner régulièrement ensemble, et c’est aussi de cette manière que l’expertise s’affine naturellement, sans avoir besoin de l’écrire.

Bérengère : Nous avons plein d’idées de développement, et conservons ce souci de transmission qui a réussi de Marion à Benjamin, de Benjamin à Maxime, de Maxime à Camille. L’entreprise n’a que 5 ans, mais nous travaillons déjà avec de très belles références, donc nous voulons continuer d’acquérir la confiance des références de leur secteur, et conserver nos contrats coups de cœur. Nous souhaitons aussi que notre développement puisse intégrer un axe pédagogique.

Marion : Ou de recrutement ! Qu’il n’y ait plus de CV ou de lettre de motivation, et que les recruteurs ne se fient qu’à des portraits. Ce serait magnifique ! Et puis, dans notre Maison de Portraits, au-delà de l’écriture et de la photographie, nous développons également le portrait sonore, le portrait dessin, tout en restant sur notre niche ! 

Avez-vous une lecture à nous recommander ? 

Bérengère : L’Écriture ou la Vie de Jorge Semprún. C’est tellement cru, violent au niveau de l’écriture, que je n’ai jamais réussi à finir ce livre tellement il me bouleversait, sauf pendant le confinement.

Marion : C’est pour cette raison que nous faisons toujours lire tous les Portraits de la Maison à Bérengère avant de livrer nos clients, car elle a une lecture très dissipée ! De mon côté, je suis une fan de Christian Bobin. La Part Manquante est un livre qui m’a beaucoup touchée, je pense que je l’ai lu 10 fois dans ma vie, et que j’en ai fait 10 lectures différentes en fonction de ce qui me traversait. Je suis aussi une fan d’Annie Ernaux, j’ai d’ailleurs consacré mon mémoire de recherches à l’analyse de ses œuvres. Elle est parfois taxée de ne pas faire de la vraie littérature, donc c’est un sujet qui m’a beaucoup traversée par rapport à notre activité. Certains peuvent avoir peur de frapper à la porte de la Maison Trafalgar, peur de son côté élitiste, en se disant : « c’est que des lecteurs de gros livres pointus », alors que nous ne sommes pas uniquement là-dedans. Nous nous consacrons le plus souvent à des petits écrits qui nous chamboulent. Sur notre site, il existe une page consacrée aux inspirations de notre équipe, on y trouve des livres, des films, des personnalités, des musiques… mais elles ne sont pas signées, pour éviter les jugements, éviter que les Portraitistes soient catégorisés. C’est précisément ce mélange d’inspirations qui fait la richesse de la Maison.

Un grand merci à Valentin Decker pour la qualité de cet entretien.


Maxime de la Maison Trafalgar, une approche scientifique de l’écriture

Peux-tu te présenter et revenir sur ton parcours ?

Je suis Maxime Duranté, j’ai 28 ans. J’ai eu un parcours un peu chaotique ! J’ai commencé avec un Bac S, alors que je voulais faire un Bac L. À l’époque, je voulais devenir officier dans l’armée de terre, donc encore une fois, j’ai souhaité bifurquer en intégrant les classes préparatoires littéraires. Mes parents ont jugé que ce n’était pas forcément le parcours le plus « safe » au niveau des débouchés, et comme j’avais les capacités de faire des sciences, j’ai fait des sciences : Maths sup’ Maths spé, côté physique-chimie, mais au bout de 3 ans, j’ai compris que ce n’était pas pour moi. Comme j’étais déjà dans une branche technique, je me suis réorienté en école d’ingénieur en informatique ; cela ne m’a pas plu non plus. Alors je suis reparti dans mes premières amours, en faisant des langues étrangères appliquées (anglais, japonais), et en quittant la région parisienne pour m’installer à Lyon. J’avais monté un projet entrepreneurial en parallèle ; il n’est plus d’actualité, mais c’est en présentant ce projet au concours JM Entreprendre organisé par l’Université Lyon III, que j’ai rencontré Marion – elle y était invitée pour un retour d’expérience sur la création de la Maison Trafalgar. On est entrés en contact, et j’ai été recruté. Depuis, je suis Portraitiste au sein de la Maison ! 

À quel moment as-tu compris que l’écriture était ce que tu voulais faire, à fond ? 

Le projet entrepreneurial que j’avais démarré avant de rencontrer Marion était une Maison d’édition, donc je voulais déjà lancer un projet dans l’écriture, plus en tant qu’éditeur qu’en tant qu’auteur. Je voulais publier de jeunes auteurs sur internet, mais cela n’a pas marché. À côté, je faisais un peu de Freelance en traduction, en relecture, en conseil éditorial sur des manuscrits, donc je voulais déjà m’orienter dans cette voie. Peut-être que dans une autre vie, j’aurais persisté, je serais peut-être devenu traducteur, mais traducteur littéraire.

Malgré ton parcours, qui semble à l’opposé de la littérature et de l’écriture, as-tu toujours gardé ce lien avec l’écriture ?

Oui, j’ai commencé à écrire assez tôt ! À la base je suis plutôt d’une culture geek. Cela passait par pas mal de Fanfiction, de la fiction très imaginaire, disons, très éloignée de la littérature contemporaine. J’écrivais des petites histoires pour la communauté, et je continue à écrire aujourd’hui pour des projets personnels, en parallèle de la Maison Trafalgar. Depuis une dizaine d’année, je poursuis un roman avec des illustrations signées par ma petite sœur illustratrice, et d’autres personnes. 

Et tu aimerais publier un jour ?

Oui ! On va publier, c’est prévu, on est en train de discuter avec un éditeur à l’heure actuelle. Comme on aimerait aller plus loin que le texte et l’illustration, on est en train de monter une petite démo avec de la musique aussi, et des éléments interactifs. 

Avais-tu déjà écrit des portraits avant d’intégrer la Maison Trafalgar ?

Non, ce qui s’en rapprochait le plus, c’était l’écriture de fiches narratives de personnages. Au départ, je me suis d’ailleurs intéressé aux portraits pour ce côté descriptif, cela me parlait beaucoup – j’adore décrire ! Même si les gens trouvent que les descriptions dans les livres, c’est souvent barbant, je trouve qu’il y a toujours un moyen de les dynamiser et de les rendre intéressantes à lire : c’est un peu le challenge que je me suis toujours fixé. Donc même si je n’avais jamais écrit de portraits avant Trafalgar, je pense que j’étais relativement armé. Pour la petite histoire, j’ai postulé en leur transmettant mon auto-portrait, sans égard pour les règles du Portrait Trafalgar, que je ne connaissais pas. Je me suis juste dit : « comment j’aurais décrit mon intervention à ce concours auquel Marion assistait ? » et je me suis auto-décrit sur la scène. 

Disposez-vous d’un guide d’entretien, ou revoyez-vous les axes, les thèmes, pour chaque entretien ?

Cela dépend de ce qui ressort de l’entretien préliminaire téléphonique qui a lieu en amont, avec chaque client. Les questions de cet entretien sont faites pour cerner les besoins, donc à partir de ces premières réponses et de ce que nous décelons, nous travaillons les thèmes. Au bout d’un moment, évidemment, on a des incontournables à poser pour avancer, et certaines thématiques qui ne peuvent être passées sous silence. Après, effectivement, c’est vraiment personnalisé à chaque fois. Nous faisons beaucoup de recherches, nous demandons aux clients de nous transmettre les articles qui sont déjà parus sur eux, ce qu’ils aiment, n’aiment pas dans les lignes qui ont déjà été écrites. Nous avons également des entretiens qui vont être modifiés, adaptés dans le cadre des Portraits croisés d’associés par exemple, car pour cette offre, deux clients vont s’exprimer de manière individuelle pour se retrouver dans le même portrait.  

Concrètement, que regardes-tu, à quoi réfléchis-tu quand tu fais un portrait, quel est ton processus ? 

Une fois que j’ai la matière, à la sortie de l’entretien d’extraction, je commence à faire un tri de ce qui est intéressant et de ce qu’il l’est moins au regard des besoins, en me basant sur mon ressenti et le vécu de l’entretien. Il faut savoir que je tape à l’ordinateur entre 15 et 25 pages, car je tiens à tout prendre en note durant l’entretien d’extraction. Après, je ne suis pas une machine infaillible pour déceler ce qui est intéressant et ce qui l’est moins, donc ce sont des points que l’on revoit parfois en comité. Je sais aussi que certains clients veulent que des pans un peu plus intimes et méconnus soient enfin abordés dans leur portrait. Chez Balzac, Hugo mais aussi chez Zola, on sent tout de suite que des tempéraments se dégagent, et c’est ce que je cherche à mettre en lumière dans mes portraits. Il faut vraiment que ce soit un « instantané », et qu’on comprenne quelle personne on est en train de rencontrer par la lecture. 

As-tu une structure que tu essaies de garder dans chaque portrait, ou est-ce que chaque portrait appel sa propre structure, sa propre organisation ?

Des plans peuvent parfois s’imposer d’eux-mêmes, mais dans la majorité des cas, et en opposition à la biographie, nous ne commençons jamais par la naissance, par exemple. Nous, on va plutôt commencer par une introduction hyper forte qui va tout de suite poser le cadre. On se permet ensuite des flashbacks, pour revenir sur des éléments antérieurs, les influences familiales si elles ont compté, le passif professionnel s’il a eu un impact sur l’activité actuelle du client, et puis des éléments de la vie personnelle – sinon, cela perd en intérêt et en chaleur. On va relier ce qui se passe dans la vie privée du client et qui va nourrir, valoriser ce que nos clients ne pensent pas forcément à dire sur eux en tant que professionnels. Toutes ces choses, qui ne sont pas forcément visibles, devront être croisées dans le portrait. Il y a des portraits où l’on sent que la thématique est tellement forte qu’on peut se permettre de faire vraiment différent. Je me souviens d’un professionnel qui est aussi un pianiste dans sa vie privée : j’ai trouvé que cette facette-là le définissait beaucoup plus que son métier en tant que tel. Donc j’ai commencé chaque paragraphe comme le déroulé d’une partition de musique. On peut faire cela quand on sent qu’artistiquement cela marche, et sert le portrait d’un point de vue structurel. 

Je comprends que vous gardez une certaine liberté sur votre style et le choix du portrait que vous allez faire. Comment abordez-vous la conclusion, la fin d’un portrait ?

Pour moi, la conclusion doit donner une sensation de bien-être. On est généralement face à des personnes alignées avec ce qu’elles sont, qui elles sont, et qui veulent vraiment revenir sur le fait que tout converge vers le projet dans lequel elles sont, donc j’essaie de relier toutes les thématiques disséminées et qui attestent que tout est en place pour que la personne s’éclate dans ce qu’elle fait. Il y a différentes façons d’arriver à la conclusion, mais quoi qu’il en soit, on vise souvent une conclusion positive, qui n’amène pas à une autre problématique à traiter. 

Quel est le fil rouge entre tous les portraits ? 

Ce que nous voulons défendre, c’est que dans la Maison Trafalgar, il y a une place pour tous les profils et les parcours. Ce n’est pas parce que tu ne viens pas d’un parcours classique que tu n’as pas ta place. Ce n’est pas parce qu’on est dans un contexte professionnel qu’il est interdit de parler de famille, de références culturelles, au contraire tout cela forme un tout. On résonne assez peu avec la mention d’une école ; on n’est pas obligé de s’en tenir à ça. On est beaucoup plus touché par des histoires de vie. Le message se résume au fait que vous pouvez oser vous dévoiler, confier une partie de vous. Vous verrez que c’est précisément avec ces moments-là que ceux qui liront le portrait résonneront. Quand j’ai reçu un tapissier, j’ai vraiment été ému par le début de son histoire. L’enfant qui découvre les ficelles du métier, les couleurs et les odeurs associées qui lui ont donné envie d’en devenir un. L’émotion renforce beaucoup plus le portrait. 

Peux-tu me parler de ton écriture, que tu décris comme scientifique ? 

Pendant la période où j’ai monté la Maison d’édition, j’étais très préoccupé par la stylistique. J’ai écrit près de 200 pages de stylistique pure, j’étais vraiment allé dans le détail : pourquoi ce mot et pas un autre, pourquoi cette rime, ce chiasme à tel endroit, à quel moment arrêter sa phrase, utiliser un prénom relatif, comment ne pas perdre le lecteur en route avec les redirections… J’ai tout décortiqué, et c’est peut-être mon bagage scientifique qui m’a conduit à faire cela. Sachant que je n’ai pas du tout une approche académique ! Une de mes premières préoccupations quand je suis arrivé dans la Maison Trafalgar a été d’insister sur l’utilisation du point-virgule, par exemple. J’ai absolument voulu le mette en avant, car je trouve qu’on ne l’utilise pas suffisamment. Je voulais utiliser tellement bien, et tellement chirurgicalement le point-virgule, que je voulais montrer qu’à certains endroits, il n’y avait que le point-virgule qui pouvait être utilisé. Donc je tournais les phrases jusqu’à ce qu’il soit la seule issue possible. Idem pour la place de chaque mot, c’est pour cela qu’on pourrait qualifier mon style de scientifique – mais scientifique dans la littérature, dans le sens structuré, détaillé, pointilleux, pas comme dans un magazine ou une revue scientifique. Chez Trafalgar, mon challenge est d’utiliser le nombre minimum de mots pour exprimer mon idée comme je le veux, c’est mon petit délire à chaque phrase ! C’est vrai que dans tout ce qu’on écrit à l’école, il nous est demandé de bien mettre en évidence les articulations logiques « en effet », « de plus » « donc » « en conclusion »… Plutôt que de bien écrire, on essaie de prouver qu’on a compris, cela crée de la prose assez chargée, et il faut se débarrasser de ce réflexe-là quand on arrive sur des écrits ou sur des portraits lus par des « vrais gens » pour le plaisir, et pas pour vérifier les connaissances. 

Sur une journée classique, as-tu des méthodes pour t’organiser ? 

Je ne sais pas écrire quand j’ai faim ! C’est impossible ! Donc je vais m’organiser en « pulsant » avec une écriture intense le matin. Puis je me pose, je relis, je vérifie si je n’ai pas oublié une idée, une citation, laissé passer un besoin, en me laissant embarquer par l’écriture. Je vais mettre mes petites notes entre crochets, me laisser des petites instructions. Je déjeune, et j’attaque à nouveau dès que je sors de table. Mais comme je suis Portraitiste, j’ai peu de gestion de mails, ce qui m’occupe surtout, c’est l’écriture et la préparation d’entretiens. Sinon, je m’occupe des éventuelles retouches des portraits déjà livrés, en direct avec les clients. Les modifications sont souvent très légères, ce sont plutôt des petites adaptations, des reformulations. 

Sur quel point es-tu vraiment vigilant dans ton écriture ? 

Il y a une signature Trafalgar, donc des éléments qui reviennent, soit par hasard, soit parce qu’on est influencés. Comme on se lit entre nous, on peut par exemple avoir utilisé une même expression. Donc nous veillons à cette diversité. Sinon, comme je ne fais pas beaucoup de jets, quasiment un jet direct, je passe énormément de temps à bidouiller chaque phrase jusqu’à ce qu’elle soit exactement comme je veux avant de passer à la suite. Je fais rarement une première ébauche pour la reprendre. 

Comment vois-tu ta courbe de progression, en tant que Portraitiste mais aussi en tant qu’Auteur ? 

Quand j’ai commencé chez Trafalgar, il y avait des sujets sur lesquels je n’étais pas très à l’aise. Comme je n’ai pas de désir d’enfant, je n’étais pas hyper bon sur les sujets qui touchaient à la maternité par exemple, et j’avais du mal à me projeter là-dedans –comprendre émotionnellement les personnes qui avaient cet ancrage très fort, ressentir ce que signifiait pour eux d’être père ou d’être mère. J’ai énormément progressé là-dessus, maintenant je peux vraiment m’adapter à n’importe quelle personnalité en terme d’empathie, ce qui au départ était un peu difficile car on arrive forcément avec ses convictions, ses pensées. L’idée n’est pas d’arriver chez Trafalgar en changeant ses convictions, mais de comprendre l’autre. Et honnêtement, cela m’a permis de beaucoup progresser, en tant qu’auteur, dans l’écriture de l’être humain. Il n’y a pas de tricherie possible avec un portrait. Un personnage de fiction, on peut le rendre aussi intéressant qu’on veut. S’il est inintéressant c’est parce qu’on la choisi, donc on ne va pas se priver pour le critiquer ; c’est généralement ce qu’il se passe quand les auteurs décrivent des bureaucrates, des financiers… Toutes les personnes sont intéressantes à partir du moment où on prend le temps de s’intéresser à elles, donc j’ai énormément progressé en termes de psychologie. J’ai d’ailleurs complètement changé mon fusil d’épaule car l’écriture chez Trafalgar a pas mal nourri ce que j’écris en parallèle de manière personnelle. Au départ, j’étais quelqu’un qui écrivait beaucoup pour les scènes d’actions, les combats, et je me suis pris de passion pour la psychologie humaine. Je pense que cet aspect se ressent beaucoup, maintenant, dans ce que j’écris. Et puis je suis quelqu’un qui écrit beaucoup en termes de volume ; le portrait m’a vraiment forcé à être concis. J’avais du mal à rester dans des formats, je suis encore quelqu’un d’assez verbeux, je crois, j’ai toujours envie d’en rajouter. Donc savoir s’arrêter aussi ! 

As-tu une lecture à nous recommander ? 

L’incontournable, et pour le coup c’est très drôle et très piquant, c’est La Bruyère, Les Caractères. Pour moi, c’est le fondamental du portrait, car comme il le disait, les caractères sont des petites fenêtres. À travers des personnages, il nous décrit toute l’humanité, et je trouve que c’est vraiment très amusant à lire, très bien écrit, assez varié. Sinon, en terme de fiction : La Horde du Contrevent de Damasio, qui serait pour moi un super sujet d’études parce que l’intrigue – la quête – est très simple, mais ce qui est innovant dans ce livre, c’est que l’auteur alterne de manière extrêmement rapide les points de vue de tous ceux qui participent à l’expédition. Tu peux en avoir 2, voire 3 sur une seule page ! Damasio est fort parce qu’il ne fait pas de rupture dans l’intrigue, mais surtout parce qu’il a développé un style d’écriture propre pour chaque personnage. Certains sont écrits au présent, d’autres au passé, d’autres dans un style super argotique, ou ultra scolaire. Le géomètre n’écrit pas comme le noble du groupe, le saltimbanque n’écrit qu’en jeux de mots, en rimes, en allitérations… Et dans l’idée, je pense que c’est aussi ce que nous faisons avec les Portraits Trafalgar. Si j’écris sur un horloger, comme le Portait doit être une pièce unique pour la personne qui l’est aussi, je vais m’amuser avec des sonorités qui font penser au tic-tac, je vais mettre pleins de trouvailles autour de son univers, puis passer d’un homme hyper minutieux, hyper précieux, à la description de morceaux de verre qui volent ; je vais m’adapter pour que tout s’enchaîne bien, mais sans laisser de côté les différentes facettes de la personne. Car ce serait aussi le piège de figer le portrait dans son genre : « ah tu es horloger ! Je vais te mettre toutes les possibilités d’écriture autour de la montre, tu seras horloger et rien d’autre ! » Non, car une personne n’est pas une couleur, elle est tout un spectre, et nous sommes aussi là pour rendre compte de la complexité des êtres humains. La Bruyère et Damasio, c’est vraiment très très bien, et je ne recommande pas cela à la légère !

Un grand merci à Valentin Decker pour la qualité de cet entretien.