Extraits : MAISON JANIER

Portrait de dirigeant, Christian

Sur les étals de son enclave s’affine un savoir-faire immémorial. Ici, les longues planches d’épicéa se courbent tantôt sous le poids des meules à l’irréprochable rondeur, tantôt sous des masses lunaires à la surface accidentée et constellée de cratères. Dans le dédale de ses caves se sonde une histoire familiale. Ici, il est un trésor bien enfoui, veillé par des hommes dont l’honnêteté cardinale n’a pu les retenir de trouver leur paradis sous terre.

Outre les livres de comptes, tenus de la plume de son grand-père, et l’imposante armoire acquise avec peine par Maurice le paternel, l’univers de Christian s’étend sans ambages dans une pièce qui raconte l’amour d’un métier reçu en héritage. Antique mireuse à œuf et bouteille de lait en opaline, machines datées et bibelots d’antan par flopées ; sûr que les curieux sont voués à s’égarer dans les tréfonds de leur vilain défaut, en s’aventurant dans cet amas de bois, de verre et de métal. 

Lui, le nanti qui confond détente et ennui, lui, le nanti qui achève ses journées à l’amorce de la suivante, ne peut concevoir de mettre son plaisir sous clef. Alors, pour soutenir sa créance, Christian se promet de rester à proche distance de l’excellence, et soigne ses manières d’insatisfait permanent, de sorte que l’ancien apprenti n’ait jamais à rendre son tablier d’éternel apprenant.


Extraits : LE COMPTOIR CÉCIL

Portrait croisé d’associés, Loïc et Grégory 

Si la course aux étoiles vide certains univers de leur atmosphère, Loïc Renart et Grégory Cuilleron ont prouvé que leur supplément d’âme se cachait dans de menus détails. Des viennoiseries ronronnant durant leur tour de chauffe au doux appel d’une viande en sauce, des brèves saillies fusant autour d’un café fumant aux canailles réunies par des plats qui le sont tout autant, le Comptoir Cecil est de ces lieux où l’art du palais se délie des manières princières. 

Quand l’enfant de chœur ne menait pas ses complices à travers les clochers de la cathédrale Saint Jean-Baptiste, dans la brume percée d’une lumière d’Amsterdam, quand le scout éplucheur de patates n’honorait pas un rendez-vous sous la queue du cheval de Bellecour, entouré des façades flaquées d’ocre par un soleil qu’on croirait natif de Florence, Grégory parcourait les ramifications d’un carrefour éminemment plus intime. À commencer par le grand-père Léon, ce démineur à la cheville blessée mais à la gaieté intacte, et la grand-mère Paulette au tempérament résistant, dont les tartes au fromage ou aux pommes, et les poulets à la crème et aux morilles, se perpétuent moins au gramme qu’à l’intuition près. Le Globe & Cecil, pour le môme détalant sous la farine et les œufs déversés dans la rue Saint Jean, était à l’époque une figure aussi familière qu’étrangère ; une passerelle qu’il mettra des années à emprunter pour rallier la rue Gasparin.


Extraits : LE FEUILLET

Portrait croisé d’associés, Ylan et Davy 

Le hasard voulut les séparer de huit ans ; Ylan et Davy ne se doutaient probablement pas que l’exigence d’excellence les réunirait bientôt. Puisque le luxe ne se soupèse pas aux paillettes dont on le saupoudre, et que la grandeur véritable d’une entreprise se reconnaît à sa capacité d’en imposer sans s’imposer, ensemble, ils ont réussi le pari de la sobriété savamment étudiée.

Aussi cette marque se distingue-t-elle de la norme, par son tempérament franc, vierge des préconisations qui se répètent dans le vase clos des designers instruits à bonne école : à chaque besoin son produit, à chaque produit ses détails réfléchis. En atteste l’engouement d’Ylan pour l’architecture urbaine, dont il extrait matériaux bruts et courbes minimalistes pour approvisionner son imagination. Refuser la fabrication à l’étranger par amour du savoir-faire français, visiter les tanneries pour choisir la pièce qui ira garnir l’intérieur d’une pochette, bousculer les codes quand une couture superflue contrarie leur minutie… dans leur quête d’adéquation entre forme et fonction, les frères Dahan ne reculent devant aucune dépense, fût-elle pécuniaire, physique ou intellectuelle.


Extraits : EVEREST ECHAFAUDAGE

Portrait de dirigeant, Frédéric

L’attente avait planté l’enfant du Beaujolais au beau milieu des fastes propres aux grands groupes. Il y a d’abord eu cette arrivée surréaliste dans une large allée fagotée comme un jardin à la française, et bordée par des eaux que des cygnes fendaient de leur course tranquille. Puis, la stupeur a continué de déteindre sur son assurance au moment d’entrer dans un hall marbré que chapeautait une verrière haut perchée. Frédéric osa néanmoins se faire une place au sein de cette arche, assez robuste pour couvrir sa crainte du déluge, et lui assurer – une fois n’est pas coutume – un toit au-dessus de la tête.


Extraits : DRUID OF PARIS

Écrits couture 

Sous le sceau du secret, notre technique de distillation exalte le nuancier et ouvre une succession de fenêtres gustatives, dans laquelle chaque note se détache pour montrer son panache, puis flatter tour à tour le nez et la bouche. À cette netteté s’ajoute une douce illusion que d’aucuns attribuent volontiers à la magie du druide : la sensation d’un sucre dont le breuvage est pourtant dénué. Au cœur de sa liqueur éponyme, la fleur d’absinthe est restaurée à une moitié de teneur, et exhale le caractère de la terre qui l’a nourrie pour en restituer les senteurs.

En quelques gouttes, les murs et les toits s’évanouissent pour laisser place à ce trait d’union entre la Nature et l’Homme ; seul demeure le massif, et son tempérament qu’aucune chimie ne force ni ne réprime. De saison en saison, d’un rayon de soleil à la rosée matinale, de la brise légère au vent cinglant, nos spiritueux reflètent l’écrin de leur environnement et captent la mémoire de leur montagne. 


Extraits : CPL AROMAS

Écrits couture

De nouvelles familles olfactives insèrent leur inventivité au sein des orchestres bien huilés : dans nos salles où tout s’arrange de concert, les chyprés répondent aux citrus tel un violoncelle en suave contrepoint des flûtes traversières ; l’oud mouchète l’écorce du pin de ses notes égrenées ; l’iris et le cèdre se vouent un amour velours qui n’était pas même fantasmé.

Le naturel, au costume d’antan et profonds parements, déploie ses dégradés de cristaux, résines et liquides. Concentré de recherche, la molécule synthétique aux lignes épurées contraste le nuancier d’une teinte sans concession. Le premier des partenaires apporte la texture et le rythme de ses gestes sûrs, sa cavalière esquisse par sa différence un pas de côté avec les convenances. Interprète du métissage, le parfum est rencontres. Entre soi et l’autre. Entre le monde qui se souvient, celui qui se perçoit, et celui qui s’éprouve. Entre la technique qui co-distille et l’art qui s’y instille.


Extraits : FOLLOW PATIENT

Portrait de collaboratrice, Anne

Il suffit de grimper aux branches de l’arbre généalogique pour comprendre que la propension d’Anne à verser dans l’imaginaire tient plus des aînés que de l’acquis. De ces deux amis caricaturiste et magicien qui, en un tour de passe-passe, se firent la belle en temps de guerre, et devinrent bientôt d’inspirants grands-pères. Mais les fantaisies équestres s’estompèrent dans une réalité qui séquestre ; la journaliste doit en découdre avec cette Araignée dans le ventre, dont la toile s’est tissée insidieusement jusqu’à engluer les espérances.

 

Portrait de collaboratrice, Marie-Anne

Il y eut aussi cette fois où elle prit le dessus sur les mathématiques et leurs sacro-saintes probabilités, et donna naissance à un fils dont le prénom résonne avec ses origines, là où souffle le vent du sud. Surtout, l’écolière qui laissait des mots bleus un peu partout dans la maison de sa nonna, l’adolescente qui noircissait des pages et des pages de récits à dormir debout, finit par publier celui de cette maladie qui l’a souvent obligée à rester couchée.


Extraits : SHARPNESS

Écrits couture

Crânes populaires et têtes couronnées, soins capillaires et dents arrachées ; l’histoire du métier de barbier est longue et tortueuse. De révolutions techniques en renaissances salutaires, cette profession millénaire est parvenue à surmonter les affres de l’âge en prenant les idées reçues à rebrousse-poil. Bienvenue dans un univers aux origines insoupçonnées qui a fait de la virilité sa reine incontestée.

Installés dans les quartiers roturiers et les bas-fonds portuaires, ces arracheurs de dents occasionnels ont pu, parfois, traiter la canaille. Sur le pas de la porte, des barbus rêvant d’un petit rafraîchissement pouvaient ainsi se bousculer aux côtés de querelleurs en quête d’un rafistolage au débotté. Malgré tout, quelques barbiers sont parvenus à hisser leur art au sommet de l’État, comme si leur réussite avait prédit la future règle d’or : « mon client est Roi » ! Car si Louis XIV impose la séparation des activités de chirurgien et de barbier, cela n’empêche pas à une nouvelle spécialité de voir le jour sous l’égide d’une tendance dont la cour s’est fait l’apanage : la perruque ! Coiffant la noblesse de sculptures monumentales, les barbiers-perruquiers se font alors confidents privilégiés.

La suite s’enchaîne dans une chorégraphie savamment maîtrisée : le rasoir électrique travaille avec précision, les poils tombent, le blaireau disperse, les baumes naturels et les huiles biologiques se répondent. Des effluves tour à tour virils et délicats. Et puis, la lame entre en scène. La vraie. Celle qui fait l’effet d’être un affranchi des années vingt. Le feu de son tranchant se promène sur votre gorge. Une intensité immédiatement éteinte par une pierre d’alun vivifiante.


Extraits : PICTURE ORGANIC CLOTHING

Portrait iconique de marque 

Je me souviens de tout ! De mon premier souffle expiré dans une chambre d’ado, et de mon arrivée dans chaque nouvel entrepôt. Je me souviens de mes collections exposées dans un garage, et de la moindre parure shootée dans les plus beaux paysages. Oui, je me souviens de tout ! De ces sourcils soulevés par l’étonnement et de ces rires étouffés chaque fois que j’affirmais, avec précocité, que mon ambition était de devenir une référence de l’outdoor en plus d’être le partenaire de glisse idéal. Idéal mais surtout durable ! Il y a longtemps que j’ai appris à surmonter les moqueries, et je me rends compte aujourd’hui que mon éducation forgée sur le tas est à la base de mon énergie inépuisable. Peut-être cette lucidité est-elle une preuve de maturité : après tout, j’ai déjà dix ans !

Mon emblématique sapin colle autant à la peau des riders qui mordent la poudreuse, à la suite d’un gros trick périlleux, qu’à celle des fonceurs qui mordent la poussière après un flip désastreux. Ces trois-là m’ont enseigné que si les somptueux habits ne sont pas forcément gages de bonnes manières, rien n’aurait pu les empêcher d’être confectionnés avec les bonnes matières ! Il est vrai que l’idée de fondre mes perspectives d’avenir, dans des chutes de tissu et des bouteilles en plastique, a d’abord accroché le scepticisme des banquiers. Je ne leur en veux pas. L’un dans l’autre, comment auraient-ils pu prévoir les courbes ascendantes de mes bilans de santé, et cette incroyable poussée de croissance qui a ponctué ma troisième année ?

À cet égard, les anniversaires sont l’occasion d’entendre de vieilles rengaines pleines d’amour lâchées par ceux qui s’étonnent à chaque centimètre pris par le petit Picture. S’ils le pouvaient, ils me pinceraient la joue puis, d’un geste significatif, rapprocheraient l’index du pouce, en me gratifiant du classique « tu sais, je t’ai connu, t’étais comme ça ! » Pour certains gars de mon âge, une telle démonstration est synonyme d’embarras. Pas pour moi ! Car voyez-vous, je sais pertinemment que sans eux, mon style élaboré et mes principes bien ancrés n’auraient été que griffonnages dans un carnet vite oublié. Et mes beaux impers, mes paires de gants écolos et mes airs de perfectionniste rigolo n’auraient jamais dépassé le stade de la discussion entre doux rêveurs – trois potes déterminés à contrer l’imposture en donnant à l’éthique une fière allure ! 

Je me prendrai certainement encore quelques boîtes qu’on se remémorera en se marrant, en se promettant de ne pas se passer de pommade sur les sujets glissants ; j’aurai sûrement l’occasion de voir de nouvelles bosses me pousser sur le front après un virage manqué, mais ces égratignures ne seront que les stigmates d’une leçon bien rentrée ! Et puis, j’ai encore beaucoup à dire, beaucoup trop à faire, pour m’endormir sur mes lauriers. Je sais que les responsabilités n’iront pas en s’allégeant ; apparemment, tel est le monde des grandes personnes. Mais j’aime à dire qu’un adulte créatif, est un enfant qui a survécu, et je compte bien assurer, en puisant dans cette fougue qui m’est si caractéristique. Ah, vous savez, je suis pas le genre à porter un regard nostalgique sur ma jeunesse mouvementée, certain qu’il n’est de plus belle époque que celle qu’on est en train de traverser. J’ai peut-être déjà dix ans, mais je vous l’annonce tout de go : mes premières rides sont encore loin de signer mes derniers rides !

Portrait croisé d’associés, Julien, Jérémy et Vincent 

Les journées défilaient désormais au gré des sessions au skatepark ou sur le parking du supermarché, dès que le côté agitateur prenait le dessus. Les heures, elles, se tuaient devant les prouesses de Gigi Rüff et de JP Solberg. Et quand les flocons commençaient à tomber, les voitures se chargeaient fissa pour le grand frisson : une descente sur les flancs fraîchement couverts de Tignes ou de l’Alpe d’Huez. Afin d’encenser ce petit monde qu’ils ont su se bâtir, le crew se dota d’un nom. Dans les environs de Clermont, il devenait habituel de voir ces fugueurs d’un soir parader et d’entendre leurs scooters pétarader. Le clair de lune se faisait alors le témoin de fiestas durant lesquelles les délits de cachottier côtoyaient les délires d’initié.

Mais le plus ardu n’était pas ces tournées commerciales dans tout l’Hexagone, ni ces mythiques démonstrations des vertus de la fibre biocéramique, qui conduisirent Picture à prendre ses aises sur les étals de centaines de boutiques. Ce n’était pas non plus ces nuits passées à préparer les commandes dans ce petit entrepôt collé à un contrôle technique, ni même la valse de voyages de courte durée et leurs pesants décalages horaires, que connaissait Julien depuis un bail et qu’il endurait sans bailler. Non, le plus ardu était surtout de tisser le bon nylon ; de filer le bon coton afin d’éviter que l’ADN écolo de Picture ne se disloque au moindre zoom de microscope. C’est donc engoncés dans des costumes plus ou moins bien ajustés que Jérémy et Julien se sont envolés pour la Turquie, après avoir trouvé une liste d’usines certifiées GOTS. La tournée des grands ducs fut âpre, mais n’obscurcit en rien cette bonne étoile qui semblait planer au-dessus des trois associés.


Extraits : LE NINKASI

Portrait de dirigeant, Christophe 

Car avant de pouvoir régaler les gourmands de tous bords et satisfaire les mélomanes en tous genres, Christophe a dû plonger tête la première sans préjuger lequel, de l’atterrissage fructueux ou désastreux, aurait le dessus. Lui, le bon élève visant l’ascension sans renier ses racines populaires, lui l’aîné de sept enfants portant sur ses épaules les espoirs d’un avenir étincelant, lui qui, tout juste majeur, lorgnait déjà un quotidien rythmé par les prises de risque maîtrisées, lui enfin, qui refusera d’écouter ses proches, et honorera son entêtement caractérisé en transformant ce faux départ en décollage précipité. 

Cet inconditionnel de l’immédiateté n’attendra donc pas pour développer en France une micro-brasserie où les flots de bières répondront au flow musical. À peine quittés les bancs de l’école, Kurt lui souffle à l’oreille le concept de brewpub, un mot qui scelle leurs promesses et déferre définitivement ses ambitions de faire. Dans la tradition du rêve américain, le duo démarre le leur dans un garage, y installent un système de brassage et étoffent leurs recettes. L’enthousiasme incandescent des deux comparses se répand, gonfle les cœurs et enflamme les envies d’indéfectibles supporters. 

Mais ces années sans profit ont aussi vu la création laborieuse du Kao et le départ brutal de Kurt, obligeant le PDG à sortir les rames quand les comptes sonnaient l’alarme, et à essuyer les larmes quand frappait le vague à l’âme. Malgré les affres des affaires, rien ne saurait détourner de sa voie cet entrepreneur certain que l’inconfort, dans lequel le met parfois sa position, reste largement compensé par la joie de tenir le guidon.

Portrait de collaborateur, David

Quand il n’est pas dans son usine à remplir les fûts, David épate la galerie par quelques numéros de magie bien affûtés. Un penchant pour l’illusion éveillé par la frustration de son esprit rationnel. Pas étonnant que cet adepte des tours de passe-passe, dont les chutes vous écarquillent les yeux et vous décrochent la mâchoire, se soit mis en tête de bientôt transcender le sésame grillé en une bière audacieuse. Grand cru au parfum enivrant ou millésime au bouquet mémorable, qui saurait prédire ce que dévoilera le prochain abracadabra du magicien ?

Portrait de collaborateur, Christophe 

L’alchimie avec son dirigeant a ajouté encore de l’eau au moulin de Christophe qui a plié bagage, voilà deux ans, pour s’installer à Lyon et rejoindre le Ninkasi. Transmettre aux publics des treize établissements cet état de grâce qui l’a frappé pour la première fois dans l’un de ces lieux tenus secrets où les corps, à l’apogée de la transe, fendaient d’épais effets de fumées et de lasers, est bien le but qu’il poursuit. Au milieu de cette osmose collective et auditive, Christophe vivait pour la première fois un rave éveillé.