Expression explicitée : Compter pour des prunes

Durant les croisades du XIIe siècle, les chrétiens ont assiégé Damas, mais la tentative fut vaine tant la ville fut défendue avec hargne. Forcés de se retirer, les croisés ne pouvaient se consoler qu’en croquant dans une prune, un fruit abondamment produit dans la région. Compter pour des prunes marque encore aujourd’hui le peu de considération pour un résultat jugé médiocre.


Expression explicitée : Tomber des nues

Il ne s’agit aucunement ici de discuter de peintures inspirées par des modèles dénudés, mais d’une jolie métaphore que l’étymologie permet de résoudre : le terme “nues” vient du latin nubes signifiant “nuages”. “Tomber des nues” se réfère donc au vertige que l’on éprouverait en tombant du ciel, et c’est pour cela qu’elle signifie aujourd’hui que l’on est très étonné d’une situation.


Tribune : L’économie de l’attention

« Ah ! non ! c’est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire… Oh ! Dieu ! … bien des choses en somme…
En variant le ton, – par exemple. » – Cyrano de Bergerac

L’économie ne peut se passer de poésie

À toi, lecteur pressé, mais aussi à toi qui sauras t’arrêter.

« Contenus à impact », « punchlines » et autres « hooks » sont autant de concepts destinés à faire scroller, faire cliquer, faire vendre – et dénotent bien davantage d’une sorte de lutte, de violence à l’écriture, que d’un quelconque plaisir à la lecture. Car le lecteur n’a pas le temps, car il est sans cesse sollicité par les notifications en cascade, les pop-ups, les messages. Dans l’un de ses communiqués, Samsung indiquait en effet que notre temps d’attention avait chuté de douze à huit secondes depuis les années 2000.

Aurions-nous aujourd’hui la concentration d’un poisson rouge dans son bocal : trois petits tours et puis s’en va ? Est-ce la faute du poisson, ou du bocal ?

L’écriture comme un hameçon. 

Le constat se dresse et se reflète au quotidien, dans les mots que l’on s’adresse. « Roman », « brique », et pour les anglophones, le fameux « TL; DR » (traduction : « trop long ; pas lu »). Les sobriquets fleurissent dès lors qu’un mail, qu’un SMS déborde de la minuscule fenêtre où la parole est confinée. Par un phénomène évolutif inédit, l’organe de l’attention serait donc victime d’atrophie. Si le lecteur n’a que quelques secondes à vous accorder, il faudra un titre racoleur. Aller vite. Phrases courtes. Vocabulaire basique. Sauts de lignes. Questions rhétoriques. Un enfant de huit ans devrait comprendre. 

Un parallèle entre l’intelligence supposée des lecteurs et celle avérée des poissons se précise peu à peu. Après tout, nous l’avions postulé, les premiers comme les seconds s’appâtent avec un hameçon.

La concision est à la mode

Cette défaite des formats longs, de la précision, de la finesse, semblerait inéluctable à première vue. TikTok nous fournissait déjà un aperçu du futur. De nombreux vulgarisateurs s’y sont positionnés pour sensibiliser leur audience à toutes les sciences : ils sont une goutte parmi toutes celles qui remplissent ce nouvel étang. Et le miracle paraîtrait s’opérer, un utilisateur s’abreuvant à cette source pendant un peu moins d’une heure quotidienne. L’on parlerait donc là d’une centaine de sujets potentiellement prémâchés, ingurgités, digérés, absorbés dans l’intervalle.

Aérophagie : lire, comme croquer dans un bonbon creux

C’est pourtant un fait dont on colporte la rumeur, un malaise qui se répand afin d’évoquer cette sensation de vide qui succède à une plongée dans ces « stories » – car le concept « d’histoire » serait aussi « has been » que l’expression « has been ». L’aérophagie pour impression, comme d’avoir croqué dans un bonbon creux, aussitôt disparu de la langue et des souvenirs. Si l’investissement sur smartphone ne se mesure pas en deniers, il se paye au centuple en temps passé, jusqu’à créer de sérieux déficits de sommeil, jusqu’à rogner sur les interactions sociales bien réelles. L’Institut National du Sommeil et de la Vigilance publiait à ce titre les résultats d’une enquête en 2020, établissant qu’environ 45 % des adultes consultaient leurs appareils dans leur lit. Et les plus perspicaces d’entre vous verront que la transition d’une vidéo à l’autre sur ces plateformes évoque le mouvement des rouleaux des machines à sous, où s’afficheront, avec un peu de chance, les trois « lucky seven ». Après tout, ces rouleaux s’appellent « reels » en anglais – mot judicieusement choisi par Instagram pour sa variante de la vidéo courte. 

Un mot qui peut se changer en verbe par ailleurs, et désigne alors l’action de… ferrer un poisson. Carton rouge.

Nourrir les algorithmes

Cinquante pommes font une cagette, cent vidéos TikTok ne font pas un film, mille deux-cents posts ne font pas un livre.

Facebook, Instagram, LinkedIn – dans les nouveaux environnements de lecture comme ailleurs, satisfaire aux exigences des algorithmes semble demeurer crucial pour se constituer un public. Et puisqu’il s’agit d’un paradigme où tout est question de chiffres, les experts de l’attention eurent tôt fait de proposer cette formule pour adapter aux lettres : « si vous avez suffisamment de matière pour composer un livre, pourquoi ne pas la subdiviser en une myriade de posts afin d’alimenter votre compte ? » Un calcul irréprochable dans la théorie, puisqu’il peut transformer une somme de trois-cents pages en trois-cents sommes d’une page, en six-cents sommes d’une demi-page – en mille-deux-cents sommes d’un post. Le dieu algorithme en est repu. 

Au pays de Descartes, les manuels de mathématiques nous enseignent que cinquante pommes font une cagette ; ils omettent peut-être de nous dire que cent vidéos TikTok ne font pas un film, que mille-deux-cents posts ne font pas un livre, et qu’on ne peut pas changer une baleine en dix-mille poissons rouges. Surtout, ce calcul part du principe qu’un coureur du cent mètres peut accomplir un marathon en enchaînant quatre-cent-quarante-deux sprints.

Plus personne ne lit

Existe-t-il une formule magique ? Il est possible qu’elle existe, et qu’il ne faille surtout pas s’en servir.

 Lorsqu’on en vient à la nécessité de construire un propos, il arrive un point où toutes les formules choc, tous les sauts de ligne, tous les emoji, toutes les combines et toutes les astuces de conditionnement psychologique se heurtent au style, au fond, à l’argumentation. « Plus personne ne lit, de toute façon ! », clame-t-on, mais ces cris d’orfraie ne sont-ils pas tout bonnement la conséquence de l’offre, en vrai ? Si chaque contenu ne devient plus qu’un rouage d’un dispositif publicitaire, si chaque phrase est scientifiquement calibrée pour conduire à la vente, si le texte n’est toujours qu’un prétexte pour renvoyer à une newsletter, qui renvoie à un livre blanc lacunaire, qui renvoie à une offre payante, il paraît inévitable que le lecteur développe des parades. 

« Plus personne ne lit », ou arguons plutôt qu’on ne peut plus rien lire. Entre les pop-ups de cookies à fermer dès que l’on ouvre un article, le remplissage de texte pour contenter le SEO qu’on apprend à ignorer, et les ficelles de manipulation sur lesquelles l’œil apprend à glisser, ce qui devait être un moment agréable tourne rapidement à la frustration.

Et l’on se demande si le problème du poisson rouge n’est pas celui de la poule et de l’œuf. Si les techniques visant à capitaliser sur ce temps d’attention en chute libre ne feraient pas qu’amplifier le phénomène. 

Tout comme les « short stories » n’ont pas tué le cinéma, les écrits courts ne tueront pas la littérature ; ils favorisent cependant des biais en poussant à la lecture en diagonale. Blâmer le lecteur, ne serait-ce donc pas se défausser de sa responsabilité ? N’est-ce pas à la plume qu’il incombe de chatouiller l’intérêt ? N’est-ce pas à la plume d’intriguer, d’inviter à quitter la surface des choses, pour emmener en profondeur ? 

Certains poissons rouges s’imaginent qu’ils sont voués à être remplacés tous les six mois, mais les aquariophiles savent bien qu’ils peuvent vivre plus de quinze ans dans les bonnes conditions, et atteindre plus de vingt centimètres de long. Tout dépend des soins qu’on leur prodigue ; tout dépend de la taille du bocal dans lequel ils naviguent.

Maxime
Portraitiste, Maison Trafalgar

Tribune publiée sur Maddyness

© Peinture : Poétiques du paysage 93, 2022 par Carole Bressan


Expression explicitée : Rater le coche

Avant le bus, le métro, le tramway et autres RER, il y avait le coche : un véhicule tracté par les chevaux. Et comme tout transport en commun qui se respecte, celui-ci passait à des heures fixes, il ne fallait donc pas rater, ou louper le coche, si l’on voulait être dans les temps à son rendez-vous. Si le coche a depuis longtemps quitté les chaussés, l’expression, elle, est restée pour signifier qu’une occasion a été manquée. 


Trafalgar retrouve les Ateliers Jouffre à New York !

OUI DESIGN! Une nuit de collaborations créatives et de célébration du savoir-faire.

Nous avons eu l’immense plaisir de répondre à l’invitation de Romain Jouffre et de ses équipes et de les retrouver pour une soirée immersive à Long Island City. En collaboration avec la Villa Albertine et Par Excellence, les Ateliers Jouffre nous ont une nouvelle fois offert une démonstration en direct de leurs talents et de leurs savoir-faire. Un grand merci à nos clients historiques pour leur élégance et pour ce moment fort qui porte haut les couleurs de l’artisanat et du design. Vous êtes très inspirants, et nous sommes honorés de travailler à vos côtés.


Expression explicitée : Tirer son épingle du jeu

Dessinez un cercle près d’un mur, placez-y des épingles, tentez de les sortir de la zone délimitée en lançant une balle, et vous aurez reconstitué un jeu d’enfants populaire au XVe siècle. Avant d’être utilisée pour parler d’une personne parvenue à se sortir habilement d’une situation délicate, en sauvant sa cause et ses intérêts propres, le fait de tirer son épingle du jeu signifiait surtout : récupérer sa mise.


Expression explicitée : Prendre de la bouteille

Originellement utilisée dans le milieu viticole pour désigner le vin qui vieillit en bouteille, cette expression fait référence à une coutume romaine, qui consistait à offrir un vase de vin à celui ou celle qui fêtait son anniversaire. Une partie était bue pour célébrer l’évènement, tandis que le reste était stocké. Par extension, prendre de la bouteille signifie avoir de plus en plus de bouteilles en stock, en raison des nombreux anniversaires déjà fêtés.


Expression explicitée : Au taquet

Pièce de bois qui servait autrefois de verrou, le taquet peut prendre différentes formes mais a toujours la même utilité : bloquer, stopper, arrêter. “Être au taquet”, c’est donc être dans un état d’immobilisation, comme au maximum de ses capacités ; être au bout de ce qui est possible, et donc ne pas pouvoir donner plus d’énergie.


La Maison Trafalgar signe la dictée solidaire pour les Lumineuses

Bien malin qui pourra prétendre connaître notre langue sur le bout des doigts !  La Maison d’écriture Trafalgar est partenaire du festival Les Lumineuses. C’était si beau de voir autant de mains et d’entreprises s’essayer à cette grande dictée caritative, que nous ne résistons pas à l’envie de vous partager notre texte ! Bravo au duo gagnant (une seule faute) ! Et chez vous ?

Saviez-vous que le mot « délice », mis au pluriel, se met au féminin, que le mot « balade » possède deux orthographes différentes, qu’on n’accorde jamais le participe passé du verbe « se succéder » ? Un grand merci à Jérémy Charbonnel pour sa belle lecture, à Marie-Sophie Obama, Carole Dufour, Nathalie Pradines, Lydia DELBOSCO, Nathalie Chaize, GROUPE IGS, à l’Association docteur CLOWN pour leur confiance !

Texte de la dictée Trafalgar : 

Parfois, lorsque l’on tend l’oreille, il arrive d’entendre, comme portée par le vent, cette jolie ritournelle : « la langue française, mais quelle merveille ! » Merveilleuse, elle l’est pour sûr, et lumineuse, bien plus encore. Certes, il lui en a fallu, de l’audace, pour saisir toute sa place, briser les carcans, et fendre la glace. Elle connut des hauts et des bas, mais ne perdant pas un seul moment de son éclat, elle n’a cessé de croire en elle-même et en la beauté de son combat. C’est ainsi qu’elle se dévoile à vous, aujourd’hui, dans toute sa splendeur, épanouie autant dans ses formes, dans son esprit que dans son cœur. 

Si elle vous voyait vous gratter la tête à mesure que les mots s’égrènent, nul doute qu’elle serait à la fête, car elle est esthète mais aussi espiègle ! À peine vous convie-t-elle et vous appelle-t-elle que déjà les écueils se recueillent à la pelle. Considérez cet exercice comme l’une de ces madeleines de Proust, ces délices sucrées qui nous projettent en ces temps où, marmots, nous jonglions avec les phrases à en perdre les mots. Que de ratures se sont succédé pour arpenter ses bizarreries ; et même si certains vocables, pour le moins dociles, se lovaient gentiment entre les lignes, nous dûmes apprendre, pour elle, à composer avec des exceptions biscornues, des conjugaisons rebelles et des accords retors. Peut-être que d’aucuns parmi vous sont déjà au courant : l’expression « c’est là où le bât blesse » n’a rien à voir avec une paire de collants, et entre une ballade que l’on écoute et une balade dans les bois, une seule hésitation suffit pour semer l’embarras. 

On pourrait en lister bien davantage, faire un étalage de règles baroques, évoquer les lochs d’Écosse ou les cosses de petits pois, finalement, bien malin qui pourra prétendre connaître notre langue sur le bout des doigts.


Expression explicitée : Battre la chamade

Le lien entre un toupet et l’audace semble a priori tiré par les cheveux ! Mais c’est en remontant le fil de l’histoire jusqu’à l’Italie du XVIe siècle que le mystère s’éclaircit. Une époque où la noblesse n’hésitait pas à commanditer le meurtre de rivaux auprès de tueurs à gages. Pour ne pas être reconnus durant leurs agissements, ces derniers se dissimulaient derrière une petite touffe de cheveux qu’ils rabattaient sur leur visage, et rangeaient ensuite leur toupet sous leur chapeau. C’est pour cela qu’avoir du toupet signifie faire preuve d’audace, si ce n’est d’effronterie.