Certains mots n'ont pas de synonyme

N’importe quel écrivain vous confiera la terreur lexicale qui s’empare de lui, lorsque ses personnages approchent d’une porte : « l’huis » ? Trop désuet. « La lourde » ? Trop argotique. Le malheureux en est bien souvent réduit à procéder par déplacement, à parler de seuil, d’encadrement… bref, à esquiver. Avez-vous déjà songé aux synonymes du mot « entrepreneuriat » ? Voilà. Il en va probablement du peintre qui aimerait plus de couleurs, du musicien qui aimerait plus de notes, comme il en va du portraitiste qui aimerait plus de mots, mais qui s’amuse chaque fois à composer avec !


Un métier enclyclopédique

Le métier de portraitiste Trafalgar tane l’humilité tant les découvertes, liées aux secteurs de nos différents clients, sont variées. Dans le même temps, il reste un excellent moyen de rééquilibrer la balance en incitant à fouiller des domaines et des sujets que l’on n’aurait jamais pensé aborder. De ma rencontre avec des machines dédiées à l’injection plastique à ma plongée dans les rouages des compresseurs à air, de mes lectures sur la manière d’obtenir deux fromages aussi différents qu’un reblochon et un camembert en partant de la même matière première, en passant par les performances de twirling bâton ou le monde des passionnés d’aras : la liste est aussi longue qu’improbable !


Interview interne - Maxime, portraitiste

À quel moment de ta vie as-tu développé un rapport sensible aux mots et à l’écriture ? 

C’est la petite histoire un peu triste d’un collégien introverti qui n’avait personne avec qui jouer aux figurines Warhammer – un jeu de plateau où l’on peint des armées miniatures, dans un univers fictionnel, riche de trente ans d’ajouts continuels. J’avais très envie d’incarner les personnages à ma façon, de leur faire vivre des péripéties, alors au lieu de me morfondre ou de jouer tout seul, je me suis mis à imaginer des parties contre un adversaire factice, puis à coucher leur compte-rendu par écrit. Même si mes premiers récits ne volaient pas très haut – beaucoup d’action écervelée ! –, c’est un point d’entrée assez courant pour les aficionados de science-fiction, Fantasy, et consorts.

Qu’est-ce qui t’a donné envie d’en faire ton métier et de rejoindre la Maison Trafalgar ?

J’ai toujours été très intéressé par le langage, ou devrais-je dire « les » langages, puisque j’ai terminé mes études par un cycle de LEA Anglais-Japonais. Quand j’étais écolier, je rêvais d’apprendre aux machines à parler, à construire des phrases de manière non pas imitative mais systématique, en revenant à ce qu’est l’essence même d’un mot – c’est une chimère que je continue parfois d’interroger, à la faveur des heures creuses. Après quelques essais en correction de romans – trop rébarbatif –, de traduction de plusieurs romanciers – trop frustrant –, j’ai voulu me concentrer sur ce que je pouvais éventuellement parvenir à construire qui me soit propre, délimiter, développer, affiner mon style. Il y a quelque chose d’infiniment puissant dans l’exercice du Portrait, et travailler non pas sur des personnages, mais sur des personnes, est un défi qui trivialiserait presque l’écriture de fiction ! C’est donc une excellente école car le « matériau brut » nous est imposé ; il reste à ciseler les phrases, à coudre les fragments.

En quoi le métier de portraitiste est-il un métier qui te correspond ?

Parce qu’il assouvirait la curiosité d’un chat : sur un an, on peut autant écrire sur le travail de la soie, de l’informatique, des luminaires de haute facture, le métier de tapissier, le leader mondial des raquettes de tennis… Impossible de s’ennuyer ! On se rend vraiment compte des connaissances accumulées en voyant les grands yeux intéressés de ses amis ! Le métier de portraitiste me correspond aussi parce que même si le Portrait Trafalgar s’étend parfois sur deux pages, il se concentre sur des formats relativement courts pour de l’écriture à caractère littéraire. Romancier au long cours par ailleurs, je ne me serais pas vu attaquer d’autres projets ultra massifs, et la variété des sujets aide beaucoup à prévenir la fatigue mentale qui pourrait poindre à force. Chaque Portrait faisant l’objet d’un comité de lecture très affûté, l’on bénéficie en outre d’un suivi et d’un appui conséquents. Cela ne paraît peut-être rien, mais le parcours du romancier « classique » consiste à s’échiner sur un manuscrit de plusieurs centaines de pages avant d’obtenir un retour éditorial – et encore, s’il a de la chance. Ensemble, nous avons cet avantage immense de pouvoir rectifier le tir à rafales rapides !

Qu’appréhendais-tu le plus au moment d’intégrer la Maison Trafalgar ?

Probablement de savoir bien mener un entretien d’extraction, puisqu’ils peuvent durer jusqu’à quatre heures et qu’il convient de les rythmer – sans une quantité suffisante de matière à remodeler, le Portrait est mal engagé alors que le premier mot n’a même pas été écrit ! Comme bon nombre de personnalités attirées par l’écriture, je n’étais pas très à l’aise socialement ; l’exercice me semblait formidable avant de m’y essayer. Entre nous soit dit, je ne pense pas que je serais capable de mener des entretiens journalistiques : c’est parce que le cadre de la Maison Trafalgar est aussi apaisé, et aussi bienveillant, que je me sens à l’aise lors de ces longs « face-à-face ». Je ne sais pas comment certains font pour gérer leurs interviews lorsqu’elles ont parfois l’air d’être faites « contre » et non « avec » l’interviewé !

À quel moment te dis-tu qu’un Portrait est réussi ?

Lorsqu’il plaît à son destinataire, et donc au client de la Maison : voilà tout de même son objectif premier ! Même si l’on peut bien sûr avoir ses passages favoris, ses petites fiertés quant à une figure bien menée, notre arsenal de techniques n’a de sens que s’il fait mouche. À cet égard, notre écriture se rapproche de la cuisine. Un plat peut avoir autant de nuances, autant de finesse que possible, s’il n’est pas au goût de la personne qui l’a commandé, il ne vaut plus grand-chose.

Alors que plusieurs acteurs de la rédaction ont le statut de freelance, quel regard portes-tu sur l’internalisation des talents au sein de la Maison Trafalgar ?

C’est une opportunité unique de pouvoir structurer sa carrière, et son mode de vie, autour de l’écriture. La plupart des gens rêvent d’écrire à temps plein, mais les places sont chères et la littérature de fiction ne paye pas – ou très peu. Cette sécurité de l’emploi est essentielle pour se donner les moyens d’une production qualitative par ailleurs ; un portraitiste Trafalgar n’a pas à se poser de questions sur la façon dont il règlera ses factures à la fin du mois ! La spécialisation de notre poste nous permet aussi de nous concentrer sur le processus d’écriture, en écartant pour grande part les problématiques de suivi de projet, que connaissent bien les freelances. C’est une sérénité, une tranquillité d’esprit qui nous place dans les conditions idéales pour atteindre le plus haut niveau d’exigence !

Que dirais-tu de l’équipe de portraitistes ? 

Qu’ils sont tous des caractères dont La Bruyère aurait tiré de croustillants Portraits ! Comme il n’y a pas réellement de cursus formant à l’écriture créative – et moins encore à l’écriture de Portraits –, chacun vient d’horizons très différents, et chacun a nourri son style d’une sensibilité et de références uniques. C’est assez amusant de voir ce qui va immédiatement « trahir » le fait que tel Portrait a été écrit par tel portraitiste, même s’il faut avoir l’œil pour déceler cela !

Comment décrirais-tu la signature de la Maison Trafalgar ? 

Je pense qu’on peut la caractériser comme « consciente de ce qui est attendu d’elle », c’est-à-dire que la signature Trafalgar écrit avec un objectif défini. Cet objectif recouvre deux versants qu’on oppose souvent, à tort – la concision et l’esthétique. Autrement dit, cette signature répond à la question suivante : comment fait-on pour exprimer une idée de la façon la plus explicite et la plus distrayante qui soit ? Car le Portrait n’est ni un grand roman d’aventure, où l’on explorerait des tombeaux oubliés, où la simple mention d’une malédiction antique suffit à faire trembler ; le Portrait n’est pas non plus un article de presse, dont le commandement suprême serait tout entier contenu dans l’information. Ce format doit donc pétiller à chaque ligne, maintenir le lecteur à l’attention du propos, sans jamais tomber dans le convenu. Nous utilisons donc tous les outils stylistiques à notre disposition pour que la lecture soit plaisante. Un but humble, honnête, et plus retors qu’il n’y paraît !

Selon toi, que faut-il pour candidater en tant que portraitiste au sein de la Maison Trafalgar ? 

Avant tout, il faut l’envie de comprendre autrui en profondeur, car le Portrait est un exercice de compréhension avant d’être un exercice de création. Un bon portraitiste ne plaque pas ses préjugés, ses idées, sa propre vision sur son sujet, sur le client ; il est une sorte de narrateur bienveillant – mais jamais complaisant –, qui rend compte de ce qu’il a entendu, perçu, déduit. Il faut également mettre de côté l’orgueil qui a tendance à pousser dans l’ombre de l’écriture : un Portrait est une œuvre collective, un travail d’équipe, et les retouches peuvent s’avérer substantielles pour arriver au résultat attendu ! Personne n’est à l’abri d’un faux pas, et même si l’expérience est évidemment précieuse, chaque nouveau Portrait est – littéralement – une page blanche. Je pense aussi qu’il est nécessaire d’être conscient que faire son métier de l’écriture implique une rigueur professionnelle ; aimer écrire par loisir ne suffit pas. Le rapport que l’on entretient avec l’acte même s’en trouve modifié, ni en bien, ni en mal – mais il s’en trouve modifié. Et paradoxalement, cette rigueur professionnelle ne doit pas étouffer le souffle créatif qui colore chaque Portrait : un portraitiste aime profondément, fondamentalement, et irrémédiablement jouer avec les mots, se lancer des défis, arriver à insérer, à détourner telle expression rebattue. Cette étincelle est primordiale ; il faut avoir cette malice en soi.

Une anecdote liée à un Portrait ?

La fois où ce chef cuisinier est arrivé dans notre Maison pour vivre l’expérience Trafalgar. Il a retiré ses chaussures, et s’est lancé à bâtons rompus dans l’entretien d’extraction ! Un peu déstabilisant de prime abord, mais après tout, pourquoi pas ?




La phrase de conclusion est un début

Du temps ! Voilà ce que demande un Portrait digne de ce nom, et une part de celui-ci est forcément allouée à la conclusion. À quoi bon délivrer des phrasés aux petits oignons, des envolées enjouées et autres formules qui claquent, si le texte se conclut platement, sans marquer le lecteur ? Je me souviens avoir passé des heures entières à trouver la bonne phrase de révérence ou à la peaufiner après un comité de lecture. Alors, quand celle-ci apparaît par miracle en cours d’écriture, je m’y accroche comme Thésée au fil d’Ariane, et fais tout pour que le récit y converge. D’ailleurs, il m’est déjà arrivé d’avoir une fulgurance, pendant ou après l’entretien d’extraction, qui me donne le fin mot du futur Portrait : ne pas avoir couché un seul mot, mais avoir en tête la phrase de conclusion est ce qu’on appelle un très bon début !


Interview interne - Virgile, directeur des opérations

À quel moment de ta vie as-tu développé un rapport sensible aux mots et à l’écriture ? 

Sans doute très petit. J’ai lu autant que je le pouvais dès que j’ai su lire, écrit autant que je le pouvais dès que j’ai su écrire. Peut-être aurais-je perdu ce goût si je n’avais été tenu loin des écrans, si j’avais été élevé dans une famille plus prompte à se livrer à des activités communes ; mais nous étions des solitaires, et la principale source de divertissement chez nous était l’importante bibliothèque du salon. Alors j’ai continué de lire et d’écrire. J’ai connu une activité épistolaire soutenue, au collège et au lycée, qui surprendrait sans doute beaucoup aujourd’hui. Enfin, le choix d’un bac littéraire et d’une prépa littéraire n’ont bien sûr rien fait pour m’éloigner des livres. J’ai publié en 2011 les Méditations Aquatiques… j’ai ainsi réalisé mon rêve d’enfant !

Et à la rhétorique, jusqu’à devenir expert des techniques de conviction écrites ou orales ?

Je pense que ma pratique quotidienne de l’épistolaire pendant des années constitue un des premiers jalons de ma spécialisation. Mais, plus généralement et sans parler nécessairement d’écriture, j’ai toujours été un peu fort en gueule et animé d’une envie de convaincre, conjointe, je l’espère et le crois, à une honnêteté intellectuelle qui me fait ranger les armes lorsque je sais que j’ai tort. La pratique du théâtre m’a bien sûr aidé à étayer, et tout à la fois canaliser, cette envie. Ma spécialisation en philosophie au concours de l’École normale supérieure, puis l’étude assidue d’Aristote au programme de l’Agreg, ont renforcé mon goût pour les raisonnements robustes. Mon étude de l’épistémologie a aiguisé mon goût pour les démonstrations à la fois brèves et puissantes. Je me suis ensuite spécialisé en logique propositionnelle… avant de remporter des concours d’éloquence et de comprendre combien les armes de la logique m’y avaient aidé. Bien sûr, la pensée analytique et la rhétorique ne sont pas identiques, mais j’observe entre elles une parenté, celle de l’exigence formelle, du souci de la structure, et surtout, de la rigueur du langage à des fins de démonstration. À partir de mes études supérieures, donc, je n’ai plus jamais su me passer de la rhétorique, si bien que j’en ai fait mon domaine d’expertise. C’est alors, et alors seulement, que j’ai découvert les orateurs antiques et que l’Institution oratoire de Quintilien est devenu un de mes livres de chevet.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de rejoindre la Maison Trafalgar ? 

Le Portrait, tel que l’a conçu la Maison Trafalgar, est un travail honnête et droit, qui se donne pour but de dire d’un individu, d’une entreprise, d’une institution, ce qu’il ou elle est profondément. Les portraitistes, à cet égard, possèdent un savoir-faire peu commun et une maîtrise du langage tout aussi peu commune. En revanche, la Maison Trafalgar n’approchait pas encore les techniques oratoires, les techniques rhétoriques, les techniques de discours, ni la transmission de nos savoirs par la formation. De fait, mon arrivée dans l’équipe et la réunion de nos compétences, qui laisse intact le savoir-faire originel de Trafalgar, permet à cette Maison complète d’être à présent une référence dans tous les domaines liés au langage.

Pourquoi est-il nécessaire qu’une Maison comme Trafalgar existe ?

Je crois la littérature et les mots anthropologiquement nécessaires ; je crois aux pouvoirs de la parole, de l’imaginaire, de la littérature, de la poésie. Trop souvent, les métiers de communication, au lieu de travailler la qualité du langage, privilégient des stratégies qui le brutalisent, et qui font apparaître les messages rédigés à la va-vite comme une norme. De fait, cette norme s’installe et dégrade sans cesse le niveau général de la langue, ce qui pourrait ne pas être un problème en soi mais qui le devient si l’on considère, comme je crois réaliste de le faire, qu’un usage fin et précis de la langue garantit en retour un exercice précis et fin de la pensée. Trafalgar prouve que l’entreprise n’a pas nécessairement vocation à s’opposer à la littérature en général ; que tous les domaines du savoir et de la sensibilité ont pour ambition de s’étayer les uns les autres.

Est-ce que l’éloquence est un art qui s’apprend ?

L’éloquence s’apprend tout au long de la vie ; elle est le fruit d’un amour des mots, conjoint à l’opportunité de faire vivre cet amour, par la parole, l’écriture, la lecture, l’écoute. L’éloquence est affaire d’improvisation et de séduction. Les grands orateurs nous émeuvent et nous touchent, en sorte qu’ils nous convainquent non seulement par la qualité de leur raisonnement et de leur démonstration, mais aussi et peut-être surtout par ce nimbe invisible qui surprend nos cœurs plus encore que notre raison. En tous les cas, cette question n’est pas sans me rappeler celle qu’un client me posa un jour : « pourriez-vous m’apprendre l’humour » ? À lire ou entendre cette question, il vous apparaît sans doute, comme à moi, que cela n’est pas possible. Peut-être est-ce là une limite qui m’est propre, peut-être certains savent-ils enseigner le bagou, l’humour, le charisme… mais je ne les connais pas. Certains prétendent savoir le faire, mais leurs résultats sont au-delà de la déception. 

De quelle manière, et pourquoi, apprendre l’art oratoire ? 

Cet « art » rassemble toutes les techniques et situations d’expression orale, et je distingue, au sein de l’art oratoire, trois niveaux : les fondations de l’art oratoire sont constituées de ce qu’il est convenu d’appeler la Prise de Parole en Public. Les murs de l’art oratoire sont faits de Rhétorique. La charpente, la toiture et au-delà, relèvent de l’Éloquence. Il n’est aucune raison logique pour laquelle il nous paraît plus difficile de nous exprimer devant un public que devant nos proches. Si cette difficulté n’est pas logique, c’est qu’elle est irrationnelle – et elle l’est, véritablement. Nos perceptions nous trompent et génèrent des attitudes, des sensations que ne provoquerait aucune situation de conversation classique. Pour autant, si les causes sont irrationnelles, absurdes, les effets n’en sont pas moins là : et nombreux sont ceux qui, devant un public, perdent leurs moyens et n’apparaissent pas tels qu’ils sont. Une formation approfondie suffit à retrouver ce naturel qui n’aurait jamais dû les quitter, et qui est le seul et unique but d’une formation en prise de parole en public ; ce qui explique, d’ailleurs, qu’une joyeuse confusion se soit installée entre « prise de parole en public » et « développement personnel », alors même qu’il n’est aucun lien direct entre les deux. Si une personne retrouve son aisance à parler devant un public, elle peut s’en sentir mieux du point de vue psychologique ; mais ce n’est là qu’une heureuse conséquence du travail en prise de parole en public, et non un but de ce travail. Quant à la Rhétorique, elle s’apprend. Les techniques de conviction existent, de même que les techniques de construction du discours, d’argumentation, etc. Une technique, par définition, s’apprend et se transmet. Nul n’est obligé de maîtriser ces techniques. Mais, si l’on postule qu’il n’est aucune prise de parole, y compris dans le cercle de nos proches, qui ne soit une tentative de convaincre l’autre – à l’exception notoire des discussions météorologiques, qui sont pour cette raison les plus ennuyeuses qui soient –, alors il faut admettre qu’il sera très utile, sinon nécessaire, de maîtriser la rhétorique, celle-ci étant définie comme « art de convaincre »

Tu dispenses pour les clients de la Maison Trafalgar un certain nombre d’ateliers, de conférences et de formations, que représente pour toi le fait de transmettre ?

Un certain nombre en effet, car la demande est croissante. Je considère que chaque individu doit, idéalement, s’assigner l’une, l’autre ou les deux fonctions suivantes : celle de créer ce qui n’existait pas (un discours, par exemple) et/ou de transmettre les méthodes qui permettront à d’autres de créer. J’éprouve par ailleurs une grande joie à transmettre ! Ceci est valable non seulement pour l’art oratoire, mais encore pour toutes mes formations professionnelles. C’est d’abord l’occasion pour moi de m’entraîner à l’art oratoire, ce qui est d’une importance considérable si l’on veut maintenir un certain niveau ; ensuite celle de questionner ce savoir, en le confrontant à la compréhension des autres, laquelle me permet de structurer ma pensée, de la rendre plus claire, plus méthodique ; enfin et surtout, le fait de voir apprendre et évoluer des personnes me procure une joie intense.

Les mots, certains préfèrent les lire, d’autres les écouter : est-ce une question d’époque ?

On rappelle souvent, à juste titre, que la transmission des contes, mythes, légendes, théories philosophiques, a pendant des siècles reposé sur la tradition orale. De ce point de vue, l’écoute n’a pas toujours été une question de préférence, mais bien une question d’époque. Il est important de garder en mémoire que la pensée s’incarne sous la forme de la parole et, historiquement, dans la parole prononcée. Je pense que depuis que la lecture et l’écoute sont deux moyens d’approcher les mots, chacun peut choisir l’une ou l’autre méthode pour des raisons si diverses qu’elles me semblent échapper à toute théorie générale. Pour ma part, je suis passionné de livres audio, ce qui ne m’empêche pas de me plonger avec délices entre les pages d’un roman ou d’un recueil de poésie. L’ouvrage considéré, la personne qui souhaite le lire ou l’écouter, le moment et les circonstances sont autant de variables qui accompagnent ce choix. Lorsque je suis au volant, par exemple, la question ne se pose pas vraiment !

Quelles sont tes ambitions pour la Maison Trafalgar ?

Trafalgar a tout pour devenir une institution dans le domaine du langage. Et c’est parce qu’elle produit des objets esthétiques, des objets d’une grande beauté, que je souhaite que cette Maison continue d’enrichir ses offres, comme elle le fait déjà, avec toujours plus d’exigence et de soin.

Une anecdote liée à la Maison ? 

Le fait que je m’y engage est en soi le résultat d’un hasard initial. Le jour où j’ai fait le tour du site internet de Trafalgar, j’ai été très impressionné par la mission de la Maison, par son esthétique, par son positionnement et par sa robustesse. Je ne cherchais pas de travail ; Marion, Bérengère et moi nous sommes rencontrés et nous avons tous trois conçu combien il serait pertinent de créer un nouveau domaine d’activité stratégique qui ouvrait sur de plus vastes possibilités, un nouveau pôle, et donc un nouveau poste. En sorte que je suis là d’où je vous parle aujourd’hui ! 




Monsieur de Trafalgar

Un jour que je me rendais chez un client de la Maison, j’ai été reçu par un maître d’hôtel tout à fait charmant qui m’a introduit en disant « Monsieur de Trafalgar séjournera dans la tour ». Je vous avoue que je me suis cru un instant dans quelque conte gothique tel que j’appréciais en lire plus jeune.


Interview interne - Benjamin, portraitiste

À quel moment de ta vie as-tu développé un rapport sensible aux mots et à l’écriture ? 

En CM2 ! J’écoutais en boucle la K7 de L’École du Micro d’Argent d’IAM, et passais des heures à lire le fascicule sur lequel les paroles étaient écrites en minuscule, à décortiquer les rimes et les jeux de mots. Parallèlement, j’agrandissais aussi ma superbe collection de Chair de Poule – des livres que je choisissais en fonction de la couverture, bien entendu. Puis, au collège, j’ai vite pris goût à l’écriture d’invention qui me permettait de coucher sur papier des histoires à dormir debout.

Qu’est-ce qui t’a donné envie d’en faire ton métier et de rejoindre la Maison Trafalgar ?

Même si je prenais du plaisir à écrire quand l’occasion se présentait, et que j’étais « la plume officielle » de mes proches, je n’avais jamais songé à en faire carrière. C’était plus un plaisir ponctuel qu’une véritable vocation. Mon épouse m’a incité à me lancer en freelance après notre installation à Lyon, et surtout, après avoir écumé en vain les pistes professionnelles du secteur culturel auquel je pensais être destiné. Alors que je démarrais comme rédacteur indépendant, j’ai rencontré Marion qui montait avec Bérengère la première Maison d’écriture dédiée au Portrait. Je n’avais aucune connaissance du monde de l’entreprise ni de son fonctionnement, mais entre la ferveur des deux associées et la promesse de faire place nette à la créativité littéraire en se défaisant des carcans imposés par les logiques de communication, je ne pouvais que souscrire à ce projet complètement fou !

En quoi le métier de portraitiste est-il un métier qui te correspond ?

Outre l’évidence de répondre à mon plaisir d’écrire et de jouer avec les mots, aucun autre métier n’aurait pu autant satisfaire ma curiosité compulsive. Je suis très facilement happé par ce qui m’est inconnu, étranger. Quand je repense à tous les clients que j’ai rencontrés et dont j’ai écrit l’histoire, à toutes ces personnalités différentes, ces savoir-faire, ces professions, que j’ai découverts ou perçus sous un nouvel angle, je me sens chanceux d’exercer un métier consistant à explorer une diversité qui semble infinie. Il permet aussi de maintenir un esprit vif, de nourrir l’intellectualité, et donc de ne jamais sombrer dans l’ennui ou la routine.

Qu’appréhendais-tu le plus au moment d’intégrer la Maison Trafalgar ?

De ne pas être à la hauteur, tout simplement ! L’entretien d’extraction est l’exercice le plus difficile à appréhender : il réclame de mettre à l’aise le client, d’instaurer la confiance nécessaire afin de disposer de toute la matière pour écrire un Portrait singulier, sans platitude ni généralité. C’est un trac qui, comme celui de la page blanche, ne part jamais complètement, mais qui est le symptôme d’un quotidien galvanisant.

À quel moment te dis-tu qu’un Portrait est réussi ?

Lorsqu’il met en exergue la singularité d’un cheminement si bien qu’aucune ligne ne pourrait être réutilisée pour aucun autre Portrait.

Alors que plusieurs acteurs de la rédaction ont le statut de freelance, quel regard portes-tu sur l’internalisation des talents au sein de la Maison Trafalgar ?

J’ai moi-même été rédacteur freelance… entre la recherche incessante de contrats, la course aux règlements des factures, le temps passé à écrire sur des sujets inintéressants ou à se plier aux exigences du web et autres SEO, les moments de création dignes de ce nom se font remarquer par leur absence. Être internalisé au sein de la Maison Trafalgar est un confort sans commune mesure, puisque tout y est fait pour que le Portraitiste se concentre à cent pour cent sur le travail des entretiens et de l’écriture. Surtout, chacun ici connaît la réalité de ce travail, ce qu’il demande en temps et en engagement pour un rendu de qualité. Mis à part cette grande liberté créative, on bénéficie d’un œil extérieur sur son travail grâce aux comités de lecture qui réunissent tous les portraitistes de la Maison autour de chaque Portrait ; c’est un exercice redoutable, mais très efficace pour qui veut affiner et améliorer sa plume ! Et puis tout le monde s’accordera sur le fait que l’écriture est un travail solitaire ; il est juste très agréable d’œuvrer avec et pour une équipe.

Que dirais-tu de l’équipe de portraitistes ? 

C’est une équipe qui sait faire preuve d’humilité. Même dans un cadre professionnel, l’écriture fait appel à une sensibilité toute personnelle. Il faut savoir accepter les retours de chacun, entendre que tel ou tel choix ne fonctionne pas. De la même manière, je crois que nous avons trouvé cet équilibre qui consiste à faire nos retours sur un écrit sans confondre bienveillance et complaisance. Cette équipe est par ailleurs la preuve qu’une entreprise peut construire sa réussite en embarquant avec elle des personnes dont le parcours n’est pas toujours taillé dans les standards de l’employabilité.

Comment décrirais-tu la signature de la Maison Trafalgar ? 

Elle est reconnaissable et foisonnante puisqu’elle est façonnée par des plumes aux influences différentes. Si ses atours peuvent changer d’un Portrait à l’autre, si elle sait s’adapter à différents tons et différents rythmes, la signature Trafalgar cherche la justesse et l’esprit. Elle est toujours réfléchie, espiègle, fouillée, et surprend par ses choix et ses partis pris stylistiques. En somme, elle cultive « la pertinence de l’impertinent » comme pourrait le dire Kery James ! 

Selon toi, que faut-il pour candidater en tant que portraitiste au sein de la Maison Trafalgar ? 

Outre une belle plume, il faut aussi faire preuve de recul et de lucidité pour tirer le meilleur parti de la matière récoltée en entretien d’extraction. Cela nécessite de se poser beaucoup de questions et donc, encore une fois, une bonne dose d’humilité : un écrit réussi ne suffit pas à assurer la qualité des prochains. Il faut évidemment être à l’aise à l’oral, savoir mener une conversation pour creuser les sujets qui paraissent primordiaux au regard des besoins client, sans pour autant la transformer en interrogatoire. Je dirai simplement qu’il faut savoir faire preuve de subtilité tant dans son écriture que dans son rapport à l’autre.

Une anecdote liée à un Portrait ?

Je pense à ce client qui se figurait qu’il était plus simple pour lui de revenir sur son parcours et sur tout son cheminement avec une Portraitiste. Non seulement son a priori a été rapidement déconstruit au fil de l’entretien d’extraction, mais après la lecture de son Portrait, il est surtout revenu à la Maison Trafalgar spécialement pour me dire : « Merci. C’est la première fois qu’un homme parvient autant à m’émouvoir ! »




La poursuite du zeugmanacoluthe

Litote, antiphrase, hyperbole, j’en passe et des meilleures. C’est peu dire que l’arsenal des figures de style que compte la langue française est abondant. Si cela ne suffisait pas, il m’arrive occasionnellement de les mêler entre elles afin de façonner d’amusantes chimères. Devisant avec l’un de mes camarades portraitistes chez Trafalgar quant à la nature exacte de telle figure de style, chacun soutenait mordicus sa position : le zeugma pour l’un, l’anacoluthe pour l’autre. Le débat fut tranché par l’émergence de cette étrangeté : le zeugmanacoluthe ; et chacun, conforté dans ses positions, a pu lui prêter une signification tout à fait personnelle. Car comme l’écrivait Proust : « Ce qui rapproche, ce n’est pas la communauté des opinions, c’est la consanguinité des esprits. »


L’étymologie pour arbitre

Des siècles et des siècles d’emprunts, de troc linguistique, d’influences et de modes ont façonné la langue française telle que nous la parlons aujourd’hui. Il est alors aisé de commettre des pléonasmes sans le vouloir, sans même que la forme des mots nous l’indique – car certains pléonasmes sont cachés sous l’étymologie ! Une fois que j’écrivais « un capitaine à la tête de », je me suis senti une démangeaison du dictionnaire ; j’ai vérifié, par acquit de conscience, et je me suis souvenu que « capitaine » venait effectivement de « caput »… qui veut déjà dire « la tête ». Et d’où vient « tête » ? C’est un cousin, « testa », qui signifie « le crâne ».


Certains comptent les chiffres, nous comptons les syllabes

On me l’aurait soufflé, je ne l’aurais pas cru

Qu’un jour, dans mon quotidien, je sois convié

À compter les syllabes, niveler le surplus

De la cadence de mes pieds.