Extraits : MP2D
Manifeste
À doubles lignes et carreaux, nostalgique des examens,
Ou d’une légèreté qui rappelle le tulle, et glisse sous la main,
Celui-ci sera doux, satiné ou scintillant, il invitera aux caresses ;
Celui-là abrasif, austère, hautain et dur, mais tout en robustesse.
Mâché, brûlé, jauni, corné, déchiré, et même papier à charge ;
Snob ou écolo, diaphane ou fibreux, papier à la marge :
À chacun d’eux sa personnalité, son usage et sa raison d’être,
Plaqué ou perforé, doré ou embossé, il peut tout se permettre.
À l’avènement des écrans, des câbles et des ondes,
Tous ont annoncé son retrait hors du monde :
S’il a survécu à la modernité et défié toutes les prophéties,
C’est qu’il est témoin de ce temps long qui s’apprécie.
Courbé de bord à bord, il se transforme en grand navire,
Pour voguer sur une mare où les souvenirs chavirent ;
Mais façonnez-lui des ailes, il gagne alors en portance,
Virevolte et fend la bise comme un pli d’importance.
Portrait de dirigeante, Laurie
Élégantes robes et homards homériques, gracieux bouquets et autruches chimériques – avec Laurie Boilleaut, la matière n’en finit pas de se montrer sous de nouvelles manières. Reconvertie paper artist, la dirigeante de Mains Pleines 2 Doigts insuffle donc ses inspirations en garnissant les présentoirs par des créations variant les tailles, et en alliant la délicatesse de l’éphémère à sa force de travail.
Dans ce studio créatif parisien, où naîtront bientôt des colosses aux pieds fragiles, le regard se porte sur les provinces chinoises, de Shenzhen à Beijing, de Hong Kong à Shanghai. Dans l’attente, le sien se dégage sous les notes résonnant dès l’aurore, dans le mystère bien gardé de l’artisanat de luxe et de ses recettes, là où Laurie chante la bella vita, et soigne sa botte secrète.
Extraits : LVMH
Écrits couture
À ceux qui s’imagineraient la vie de château, je réponds par la vie qui s’abreuve en Champagne. Quoique mon titre se devine à mes atours – blason dans ma cour, et campé sur mes tours –, j’ai surtout celui du veilleur de la Côte des Blancs. Et si certaines personnalités illustres et têtes couronnées séjournent en mes murs, il s’agit moins d’ancrer le pouvoir à un siège que de s’émouvoir à faire sauter le liège.
Plutôt muse que musée, je fais l’évènement en retraçant les mythes qui m’ont décoré. Le vécu de la Maison s’est certes révélé par le 150e anniversaire de la cuvée impériale ; mes cultures, loyales au soleil, rendent d’ailleurs un hommage au roi qui crut être son pareil. De la France, je rallie la Chine, puis l’archipel nippon et ses grues, les années folles aux motifs incongrus. C’est aux fausses légendes et discours de façade que mes onze suites s’opposent ; chacune semble s’ouvrir sur un monde où le souvenir s’ancre et se repose. Je fais côtoyer le Hollywood des stars et rejoins la toundra des tsars, renoue avec l’Amérique pour enfin gagner les îles britanniques. J’ai même ambassade en Perse : dans toutes mes pièces, je me réinvente sans cesse.
Extraits : LES FERMES DE MARIE
Portrait iconique de marque
Il est délicat d’échapper aux sirènes de la standardisation. Toutefois, j’ai décroché mes cinq étoiles en me gardant d’entrer dans toutes les cases de cette distinction. Pour ainsi dire, je ne brille jamais mieux que dans le contraste, qu’en respectant l’esprit frondeur qui m’a fondé ; qu’en faisant goûter à mes locataires les secousses de l’aventure dans mes Land Defenders chevronnés ; qu’en préférant la patine des meubles anciens, quitte à mettre à l’épreuve leur fonctionnalité ; qu’en laissant les vrillettes sculpter leur œuvre dans mes bois, et assumer leur apparente irrégularité. Sous mes airs impeccables et mon service d’expert, pointent donc les imperfections et cette familiarité propre à la pension familiale. Oh, je sais que ma coutume de nicher le luxe dans la simplicité tient pour certains du drame, mais je réaffirme que ce sont là tous les attraits de mon charme.
En rebroussant les chemins de mon histoire, vous vous perdrez dans des forêts de sapins qui ont vu défiler des lignées de fermiers et de paysans. Sur les anneaux de mon vieux bois scié en poutres et madriers, transformé en façades et mobiliers, se lisent des récits s’étalant sur cent ans. Car avant de me déployer en jardins et chalets, avant de recevoir avec entrain et chaleur, je fus mazots et greniers, cabanes et fermes brinquebalantes fichés dans les impénétrables voies des deux Savoie.
Avec eux, j’ai connu l’émotion de voir s’élargir des généalogies qui me sont restées fidèles, celle de voir Marie et Nicolas prendre trente ans et gagner en responsabilités, jusqu’à saisir les rênes de ma destinée. Certains qu’il est plus aisé de construire que de maintenir, leurs parents m’ont avoué la fierté qu’ils ont à leur égard. C’est vrai que je vieillis, mais avec les pieds solidement ancrés dans le terreau qui m’a vu croître. Ainsi la sœur, qui s’amusait à napper de sucre les rebords des verres, est désormais garante du bon fonctionnement de mes affaires. Son palais s’assure que mes gratins soient pareils à ceux de mamie Fernande, et que mes tartes aux pommes épaisses continuent d’être gourmandes. Je me remémore aussi l’intrépidité du frère qui sautait de mes toits enneigés, puis de poste en poste, acceptant tout le travail que j’avais à lui proposer. Lui qui apprit à faire deux avec un, conduit des travaux opportuns dans le seul but de me réhabiliter en conservant les tenants de mon identité.
Mes alarmes avaient l’habitude d’extirper du lit toute la maisonnée alors vouée au rôle de vigie, et auquel ne rechignaient pas Nicolas et Marie. Je me souviens d’ailleurs que ces deux-là aidaient aux préparatifs des échéances qui cadencent mes années comme une ritournelle. À Noël, chacun s’échinait à muer les oranges en pommes d’ambre par quelques clous de girofle savamment plantés, et qui suffisaient à me charger des effluves de la fête. Je confesse avoir subtilisé à cette famille bien des réunions, et cela pour permettre à d’autres de connaître des moments d’exception. Afin de me faire pardonner cette enfance passée entre deux portes, la fratrie faisait de mes buffets du matin et du goûter le prolongement de leur cellier. Il en allait ainsi, lorsque j’étais à la fois office et foyer.
Extraits : LES ENFANTS À TABLE
Portrait de dirigeante, Cécilia
Ravir babines et bambins par une purée issue du potager, ou une compotée aussitôt descendue du verger ; avec « Les enfants, à table ! », nul doute que c’est au nom de l’aliment bio et sain que Cécilia appelle au ralliement et au festin. Ses petits pots n’ont de raison que les saisons, et ainsi font de succulents ponts entre panais et millet, coings, pommes, navets et potimarron.
Cécilia est certes l’une de ces adeptes de l’arôme du sans-faute et de l’adage voulant que l’on ne soit jamais mieux servi que par soi-même, elle admet qu’il faut savoir accepter une aide pour s’éviter quelques peines. Son rêve entretenu était de devenir acrobate, et le moins que l’on puisse dire, c’est que les revirements de carrière réalisés en haute voltige lui ont permis d’atterrir sans embarras après son grand saut dans l’entrepreneuriat. De ses débuts scientifiques à scruter le vieillissement des cellules, à ses années au service des familles en difficulté, Cécilia aurait pu être décorée d’un doctorat en prise de recul.
Extraits : LA BELLE BOUSE
Portrait de dirigeante, Sophie
Si une ville trouve son caractère et sa raison dans la pierre et le béton, les rebords de fenêtres, les arrière-cours et les salons sont autant d’interstices offrant à la verdure un peu de justice. Afin que ces espaces soient pris d’assaut par les végétaux, Sophie creuse des solutions pour que les citadins – plus optimistes que candides – cultivent leur jardin en un tour de main. Ce que les vaches relâchent en gros, l’entrepreneure le réinvente en grains, colportant de bon gré une ruralité qui cimente son entrain. Sobrement empaquetée dans un sachet qui se passe volontiers de l’imagerie petites fleurs, petits lutins, La Belle Bouse et sa gamme de produits sans odeur, au slogan bien senti, se sont faites expertes en oxymores.
La Belle Bouse expose désormais sa conscience locale sur une diversité d’étals : boutiques biologiques, fleuristes experts et marchés de taille hyper. Ayant dépassé l’univers des start-up qui l’a vue se former, Sophie porte ses réflexions auprès d’une chaîne de partenaires, reliant les agriculteurs perchés sur les plateaux de la Savoie aux revendeurs nichés dans des cités où l’urbanisme fait loi. Elle fut peut-être la première cliente de sa société, Sophie fit vite un malheur en remportant l’adhésion des jurys, des jardiniers apprentis comme des plus aguerris. Au-delà du trophée Jeune Entrepreneur de l’Année, elle conserve surtout les résultats des bienfaits qui traversent potagers, arbustes et autres bananiers. Et parce que les graines qu’elle plante sans concession dans son entreprise lui confèrent pleine santé, Sophie ne saurait chercher l’herbe que l’on dit plus verte ailleurs ; elle préfère cette place qu’elle s’est aménagée, et qui lui permet de prouver par elle-même que l’on récolte tout ce que l’on sème.
Extraits : VALRHONA
Portrait de dirigeant, Patrick
Il n’a pas changé, le fougueux toujours fourré dehors qui, s’il venait à passer devant la boulangerie familiale, se faisait alpaguer pour une leçon en mathématiques de comptoir. Il n’a pas changé, le casse-cou agacé par les trottoirs, les limites et les sens interdits, et dont le père déviait la routine en l’emmenant à bonne école pour assister aux championnats de motocross. Là, il pouvait admirer des figures en cascades et « manger des frites pas cuites » à la barquette. Il n’a pas changé non plus, le campeur du fond de la classe, davantage appliqué en arts plastiques qu’impliqué dans l’étude des épithètes homériques.
Encore faut-il qu’il déniche la sortie de ses réflexions en circonvolution, lui qui tisse avec célérité les connexions de son univers à trois-cent-soixante degrés, et donne sens aux rencontres et collisions, aux ressentis et perceptions. Aux fulgurances qui, à Hong Kong, frappent du haut d’un balcon ; à l’ébahissement face aux jeunes de Bagneux qui balancent des roues arrière, à l’ébranlement procuré par le pilotage d’une Ducati ou d’un hélicoptère ; à l’immersion dans une entrevue avec Depardieu, et dont le génie l’obligerait presque à demander pardon ; à la compréhension de l’intérêt du golf et de Picasso, à la découverte de Queen et du Boléro ; à l’observation des grands singes et des grosses bêtes, à cette flore aussi exaltante que des amours secrètes ; aux mots, aux messages, aux ressorts qui parviennent à transpercer l’âme et ses miradors ; aux ramifications d’un détail accidentel, d’un souffle, d’une odeur qui réussissent à décrypter les états du cœur ; à cet instant où l’instinct le pousse à la création avec insistance, où Patrick Roger déverrouille enfin son esprit en arborescence.
Extraits : TERRE ADÉLICE
Portrait croisé d’associés, Xavier et Bertrand
Si Xavier et Bertrand Rousselle – « de Terre Adélice, et c’est tout » – sont d’un cru généreux, c’est parce qu’ils ont mûri au soleil vermeil des familles nombreuses. Dans une quête qui conduira de Madagascar à Saint-Sauveur, du calisson à la praline, l’itinéraire du glacier bio Terre Adélice est de ceux qui s’achèvent aux origines, et aiguille les papilles vers les régals dont la Nature fourmille. Les desserts que les frères proposent d’ailleurs aux gourmands descendent de ceux qu’ils concoctaient dans leur sorbetière, sous la direction des tantes et grands-mères.
À cette époque où les cornets se vendaient presque à la criée par les fondateurs, la rocambolesque logistique tutoyait l’épique avec l’arrivée de l’été. Les enfants de Xavier et Bertrand, eux aussi arrangés en quatuors, accouraient aux gîtes exigus, loués à la saison afin de conserver cette main d’œuvre à portée de châtaignes à ramasser ou de fruits à éplucher. Régulier comme un fleuve dont la surface placide dissimule le débit, le succès de Terre Adélice finit, dix ans plus tard, par craqueler les murs trop étroits de la ferme où presque toutes les recettes s’inventaient.
Mais avant que les diplômes ne couronnent les efforts, avant que Xavier n’étanche sa curiosité dans les arcanes de la matière et que Bertrand ne se méfie du dogme chimique dispensé en école agricole, de premiers enseignements furent prodigués par un professeur muet faisant classe sur le tableau des paysages, et qui n’est autre que l’Ardèche. L’Ardèche, où ces jeunes vacanciers qu’on croirait aujourd’hui natifs du pays se levaient dans le pied-à-terre familial, coiffés d’une imprenable vue sur les Alpes. L’Ardèche, qui abrita les baguenaudes et les chiquenaudes des frangins ayant pour voisins Madame Valla et ses fromages au plafond.
Extraits : RINCK MANUFACTURE
Portrait croisé d’associés, Lisa et Mathilde
Happée par la piste de son grand-père, Lisa a quant à elle creusé sa place dans le sillage des détectives qu’elle côtoyait depuis l’âge des J’Aime Lire, et une débrouille dans les cadeaux de sa famille, qui avait perçu la dextérité précoce. Évidemment, l’attrait pour l’ancien grava le mythe d’Indiana Jones dans l’imaginaire de la jeune élève qui, dans le cadre de ses cours d’art, ratissait les Puces du Canal pour dénicher ces objets délaissés sur lesquels s’entraîner à restaurer ; évidemment, le papier s’imposa de
lui-même à cette dépositaire d’une Histoire tourmentée, qui lui lègue maintenant ses esquisses et ses idées.
Un ouvrage plus de vingt fois remisé pour que s’inculque le métier – s’il s’était logé dans quelque anfractuosité de la Manufacture, l’esprit de Boileau aurait dédié un sourire aux industrieuses. Parce qu’à fuir tout accroc on perd son accroche, les chatoyants tissus envisagés aux commencements s’éclipsèrent finalement. La ficelle noire ardemment désirée pour relier les carnets se débusqua au terme d’une traque de deux ans, qui aiguilla les associées vers la dernière usine d’Europe à les fabriquer; chaque composante des réalisations sur-mesure Rinck continue donc d’être interrogée avec la finesse du limier.
Les deux Lyonnaises, qui ont pris le contrepied des adages excluant les amis des affaires, ne connaissent ni d’obstacle qui ne se surmonte par la synergie, ni d’aspirations trop larges pour leur énergie. De la confection à l’affection, qu’elle soude les couvertures aux pages des carnets, ou les qualités aux rouages de la complicité, la promesse est faite de résister à l’épreuve du temps.
Extraits : GLACIER NARDONE
Portrait croisé de vie privée, Michèle et René
Qu’importe que l’un sache apprécier la plénitude d’un silence quand l’autre allume le son de la télévision juste pour l’ambiance. Qu’importe qu’à l’heure du goûter, la camomille tienne tête au cortège de cafés ; que l’une s’agace de voir sa propre dureté s’assouplir avec l’âge quand l’autre fait sienne la mélancolie d’Aznavour et de ses vers transformés en adages. Qu’importent les habitudes disparates et les printemps disparus, puisque toutes les contrariétés continuent de se dissiper d’un regard complice, que tous les contrastes s’évanouissent encore d’un baiser volé, qu’importe, car Michèle et René ont su conserver intact, l’idéal réconfort des idylles aux aurores.
Quoique l’histoire américaine fit vibrer ses tympans chaque fois qu’il franchissait les portes du Hot Club, repaire des amateurs de jazz, René ne se débotta jamais de ses origines italiennes. Il y avait bien sûr la voix de Maria Caniglia, qu’il entendit pour la première fois sur la radio de sa nonna, les retours récurrents au berceau de Montecassino, les fanfaronnades avec Rafael, qui les menèrent du Sud de Naples à Pompeï, jusqu’à la capitale Éternelle. Tour de chauffe des périples qu’il vivra plus tard avec Michèle, et les enfants, avec lesquels ils écoulèrent de nombreuses vacances romaines. Il y avait surtout Nardone, ce nom qu’il endossa une seconde fois quand son père l’incita à délaisser bagues et colliers pour les bacs de glaciers. Les espoirs paternels, aujourd’hui comblés et compris, le plantèrent au bon endroit, non loin du pont de la Feuillée que l’heureuse fortune traversa.
Car c’est en couple qu’ils ont cumulé les heures à ravir le gone de passage d’une boule à la pistache, ou le chef d’État dont les gardes du corps ne surent préserver la cravate de la tache. Ensemble qu’ils mirent de l’ardeur à risquer les rhumatismes, en plongeant un à un les bâtonnets glacés par moins trente degrés. Ensemble qu’ils peignirent les tables, sortirent les poubelles, firent la conversation aux clients et clientes, ensemble qu’ils bouclèrent les journées en préparant déjà la suivante. La réussite eut beau propulser René en haut de l’affiche, elle s’érigea surtout grâce à l’intraitable allant de Michèle, le pilier qui, par quelques élans d’autorité, honora l’objectif d’agrandir les locaux en mettant les points sur les i à chaque échelon de l’administration et de sa hiérarchie.
Extraits : MERCI MAMAN
Portrait de dirigeante, Béatrice
Plutôt que de clinquants apparats qui attirent les compliments, Béatrice a choisi de fondre ses parures dans une sobriété qui attise les remerciements. Elle joint à la rondeur de la forme le sens de la formule, et insuffle aux bijoux cette douceur féminine. Des cadeaux mûrement réfléchis qui prennent à rebrousse-poil le renard de Saint-Exupéry, en donnant aux yeux la chance de voir cet essentiel que les cœurs auraient en apanage.
Mais quoique la petite boîte orange ait su charmer la Duchesse de Cambridge, servir de clef souveraine pour déverrouiller les portes de Buckingham Palace et recevoir un Queen’s Award d’Elizabeth en personne, la chef d’entreprise ne se sent pas investie du droit divin de se reposer sur les gloires passées. Point d’honneur comme de départ, pour cette impatiente dont les envies souffrent de guetter le facteur : les délais de livraison s’affrontent avec une rigueur claire que n’endormirait aucune validation princière.