Monsieur de Trafalgar

Un jour que je me rendais chez un client de la Maison, j’ai été reçu par un maître d’hôtel tout à fait charmant qui m’a introduit en disant « Monsieur de Trafalgar séjournera dans la tour ». Je vous avoue que je me suis cru un instant dans quelque conte gothique tel que j’appréciais en lire plus jeune.
Interview interne - Benjamin, portraitiste

À quel moment de ta vie as-tu développé un rapport sensible aux mots et à l’écriture ?
En CM2 ! J’écoutais en boucle la K7 de L’École du Micro d’Argent d’IAM, et passais des heures à lire le fascicule sur lequel les paroles étaient écrites en minuscule, à décortiquer les rimes et les jeux de mots. Parallèlement, j’agrandissais aussi ma superbe collection de Chair de Poule – des livres que je choisissais en fonction de la couverture, bien entendu. Puis, au collège, j’ai vite pris goût à l’écriture d’invention qui me permettait de coucher sur papier des histoires à dormir debout.
Qu’est-ce qui t’a donné envie d’en faire ton métier et de rejoindre la Maison Trafalgar ?
Même si je prenais du plaisir à écrire quand l’occasion se présentait, et que j’étais « la plume officielle » de mes proches, je n’avais jamais songé à en faire carrière. C’était plus un plaisir ponctuel qu’une véritable vocation. Mon épouse m’a incité à me lancer en freelance après notre installation à Lyon, et surtout, après avoir écumé en vain les pistes professionnelles du secteur culturel auquel je pensais être destiné. Alors que je démarrais comme rédacteur indépendant, j’ai rencontré Marion qui montait avec Bérengère la première Maison d’écriture dédiée au Portrait. Je n’avais aucune connaissance du monde de l’entreprise ni de son fonctionnement, mais entre la ferveur des deux associées et la promesse de faire place nette à la créativité littéraire en se défaisant des carcans imposés par les logiques de communication, je ne pouvais que souscrire à ce projet complètement fou !
En quoi le métier de portraitiste est-il un métier qui te correspond ?
Outre l’évidence de répondre à mon plaisir d’écrire et de jouer avec les mots, aucun autre métier n’aurait pu autant satisfaire ma curiosité compulsive. Je suis très facilement happé par ce qui m’est inconnu, étranger. Quand je repense à tous les clients que j’ai rencontrés et dont j’ai écrit l’histoire, à toutes ces personnalités différentes, ces savoir-faire, ces professions, que j’ai découverts ou perçus sous un nouvel angle, je me sens chanceux d’exercer un métier consistant à explorer une diversité qui semble infinie. Il permet aussi de maintenir un esprit vif, de nourrir l’intellectualité, et donc de ne jamais sombrer dans l’ennui ou la routine.
Qu’appréhendais-tu le plus au moment d’intégrer la Maison Trafalgar ?
De ne pas être à la hauteur, tout simplement ! L’entretien d’extraction est l’exercice le plus difficile à appréhender : il réclame de mettre à l’aise le client, d’instaurer la confiance nécessaire afin de disposer de toute la matière pour écrire un Portrait singulier, sans platitude ni généralité. C’est un trac qui, comme celui de la page blanche, ne part jamais complètement, mais qui est le symptôme d’un quotidien galvanisant.
À quel moment te dis-tu qu’un Portrait est réussi ?
Lorsqu’il met en exergue la singularité d’un cheminement si bien qu’aucune ligne ne pourrait être réutilisée pour aucun autre Portrait.
Alors que plusieurs acteurs de la rédaction ont le statut de freelance, quel regard portes-tu sur l’internalisation des talents au sein de la Maison Trafalgar ?
J’ai moi-même été rédacteur freelance… entre la recherche incessante de contrats, la course aux règlements des factures, le temps passé à écrire sur des sujets inintéressants ou à se plier aux exigences du web et autres SEO, les moments de création dignes de ce nom se font remarquer par leur absence. Être internalisé au sein de la Maison Trafalgar est un confort sans commune mesure, puisque tout y est fait pour que le Portraitiste se concentre à cent pour cent sur le travail des entretiens et de l’écriture. Surtout, chacun ici connaît la réalité de ce travail, ce qu’il demande en temps et en engagement pour un rendu de qualité. Mis à part cette grande liberté créative, on bénéficie d’un œil extérieur sur son travail grâce aux comités de lecture qui réunissent tous les portraitistes de la Maison autour de chaque Portrait ; c’est un exercice redoutable, mais très efficace pour qui veut affiner et améliorer sa plume ! Et puis tout le monde s’accordera sur le fait que l’écriture est un travail solitaire ; il est juste très agréable d’œuvrer avec et pour une équipe.
Que dirais-tu de l’équipe de portraitistes ?
C’est une équipe qui sait faire preuve d’humilité. Même dans un cadre professionnel, l’écriture fait appel à une sensibilité toute personnelle. Il faut savoir accepter les retours de chacun, entendre que tel ou tel choix ne fonctionne pas. De la même manière, je crois que nous avons trouvé cet équilibre qui consiste à faire nos retours sur un écrit sans confondre bienveillance et complaisance. Cette équipe est par ailleurs la preuve qu’une entreprise peut construire sa réussite en embarquant avec elle des personnes dont le parcours n’est pas toujours taillé dans les standards de l’employabilité.
Comment décrirais-tu la signature de la Maison Trafalgar ?
Elle est reconnaissable et foisonnante puisqu’elle est façonnée par des plumes aux influences différentes. Si ses atours peuvent changer d’un Portrait à l’autre, si elle sait s’adapter à différents tons et différents rythmes, la signature Trafalgar cherche la justesse et l’esprit. Elle est toujours réfléchie, espiègle, fouillée, et surprend par ses choix et ses partis pris stylistiques. En somme, elle cultive « la pertinence de l’impertinent » comme pourrait le dire Kery James !
Selon toi, que faut-il pour candidater en tant que portraitiste au sein de la Maison Trafalgar ?
Outre une belle plume, il faut aussi faire preuve de recul et de lucidité pour tirer le meilleur parti de la matière récoltée en entretien d’extraction. Cela nécessite de se poser beaucoup de questions et donc, encore une fois, une bonne dose d’humilité : un écrit réussi ne suffit pas à assurer la qualité des prochains. Il faut évidemment être à l’aise à l’oral, savoir mener une conversation pour creuser les sujets qui paraissent primordiaux au regard des besoins client, sans pour autant la transformer en interrogatoire. Je dirai simplement qu’il faut savoir faire preuve de subtilité tant dans son écriture que dans son rapport à l’autre.
Une anecdote liée à un Portrait ?
Je pense à ce client qui se figurait qu’il était plus simple pour lui de revenir sur son parcours et sur tout son cheminement avec une Portraitiste. Non seulement son a priori a été rapidement déconstruit au fil de l’entretien d’extraction, mais après la lecture de son Portrait, il est surtout revenu à la Maison Trafalgar spécialement pour me dire : « Merci. C’est la première fois qu’un homme parvient autant à m’émouvoir ! »
La poursuite du zeugmanacoluthe

Litote, antiphrase, hyperbole, j’en passe et des meilleures. C’est peu dire que l’arsenal des figures de style que compte la langue française est abondant. Si cela ne suffisait pas, il m’arrive occasionnellement de les mêler entre elles afin de façonner d’amusantes chimères. Devisant avec l’un de mes camarades portraitistes chez Trafalgar quant à la nature exacte de telle figure de style, chacun soutenait mordicus sa position : le zeugma pour l’un, l’anacoluthe pour l’autre. Le débat fut tranché par l’émergence de cette étrangeté : le zeugmanacoluthe ; et chacun, conforté dans ses positions, a pu lui prêter une signification tout à fait personnelle. Car comme l’écrivait Proust : « Ce qui rapproche, ce n’est pas la communauté des opinions, c’est la consanguinité des esprits. »
L’étymologie pour arbitre

Des siècles et des siècles d’emprunts, de troc linguistique, d’influences et de modes ont façonné la langue française telle que nous la parlons aujourd’hui. Il est alors aisé de commettre des pléonasmes sans le vouloir, sans même que la forme des mots nous l’indique – car certains pléonasmes sont cachés sous l’étymologie ! Une fois que j’écrivais « un capitaine à la tête de », je me suis senti une démangeaison du dictionnaire ; j’ai vérifié, par acquit de conscience, et je me suis souvenu que « capitaine » venait effectivement de « caput »… qui veut déjà dire « la tête ». Et d’où vient « tête » ? C’est un cousin, « testa », qui signifie « le crâne ».
Certains comptent les chiffres, nous comptons les syllabes

On me l’aurait soufflé, je ne l’aurais pas cru
Qu’un jour, dans mon quotidien, je sois convié
À compter les syllabes, niveler le surplus
De la cadence de mes pieds.
Un mot comme de la glaise

Comment un Portraitiste Trafalgar manipule-t-il les mots ? Faisons un exercice avec « président ». Commençons par raboter la fonction de sa première lettre : le « président » français n’est-il pas le « résident » de l’Élysée ? Voyons ce qu’il advient quand on le débite en petits bouts : un pré si dent ? L’on se demande alors si le berger d’un cheptel trop nombreux ne serait pas le président d’un pré si dense. Changeons d’approche, inversons deux lettres ; nous obtenons « prséident ». Coupons encore : « séide ». Ma question pour vous, alors : qui préside aux séides ?
Rabe de fromage

Rabe de fromage
« En tant qu’amateur de fromages, je ne pouvais être plus ravi que d’écrire des Portraits pour des Meilleurs Ouvriers de France Fromagers. L’un d’entre eux, épicurien devant l’éternel, tenait à m’offrir quelques gourmandises lors de mon prochain déplacement à Paris. Comme notre client était souvent sur les routes et difficile à voir, il m’avait proposé un stratagème pour honorer sa promesse : « Je pars demain de gare de Lyon, si tu veux, je peux mettre le fromage dans une consigne et te transmettre le code. Si tu arrives quelques heures plus tard, cela devrait le faire, OK ? » OK ! »
Ne pas louper le coche avec Henri Cochet

Ne pas louper le coche avec Henri Cochet.
Certains noms obligent au trait d’esprit ; le fameux tennisman Henri Cochet en fait partie. Alors que je travaillais un Portrait de marque, j’ai été « confronté » à ceux que l’on appelait « les Mousquetaires » de la grande époque – René Lacoste, Jean Borotra, Jacques Brugnon, et, donc, Henri Cochet. Comment ne pas louper le coche avec le dernier ? On aurait pu faire d’une pierre deux coups, on aurait pu, peut-être, imaginer que quelque chose clochait avec Henri Cochet, ou même qu’il avait fait office de cocher pour l’équipe française. Mais c’eût été trop « sur le nez », comme disent nos amis d’outre-Manche, alors j’ai opté pour un talent qui faisait des éclaboussures !
Abécédaire : Durable versus éphémère

Il y a ce mot délicat qui s’enfile comme un gant, celui dans lequel on se sent à l’étroit, plus distant. Il y a ce mot-valise, ce mot sur le départ qui ne nous dit trop rien, puis celui qui nous parle, à peine l’a-t-on croisé, et dont la nuance infime ne se laisse remplacer par aucun synonyme.
Durable versus immédiat : le « D » est à l’honneur dans notre Abécédaire !
Abécédaire : Visionnaire versus immédiat

Il y a ce mot délicat qui s’enfile comme un gant, celui dans lequel on se sent à l’étroit, plus distant. Il y a ce mot-valise, ce mot sur le départ qui ne nous dit trop rien, puis celui qui nous parle, à peine l’a-t-on croisé, et dont la nuance infime ne se laisse remplacer par aucun synonyme.
Visionnaire versus immédiat : le « V » est à l’honneur dans notre Abécédaire !